Kahnawaké, le nouveau territoire, internet. Interdit – Internet. Ou ce vieil adage qui trotte dans ma tête de blanc-bec: « Internet, c'est pas net ».
Pas net – l'internet, ou même ici la « blogosphère » est un territoire de jeu. Internet joue. Internet joue d'un trouble. Kahnawaké et les casinos en ligne. Jouer en ligne, c'est peut-être l'essence même de ce que peut être internet. Inter-net, et entre le net peut exister le jeu – le jeu dans le trouble.
Homo ludens – l'homme qui joue et: l'homme joue, comme cette grande et prétentieuse vérité. Et toutes les théories du jeu. Entre autres choses, on dit que le jeu est un moyen d'appréhender son territoire. Le jeu est le mode sous lequel les animaux s'approprient leur territoire. Chose assez évidente, finalement, mais qui prend d'autres proportions lorsque l'on pense à la dimension éminemment (on a déjà parlé de l'éminence, et des mondes souterrains qu'elle recouvre), donc, la dimension éminemment joueuse de la Cruauté.
Le jeu dans le trouble, et, par suite, le jeu dans la Cruauté. Par un effet de chance (car jouer, c'est encore tenter sa chance) les notions semblent littéralement tomber les unes des autres – échoir, comme l'échéance de la chance.
Alors la Cruauté serait échéance ou déchéance – bien sûr résonne là l'enfer de l'éminence. Ou l'éminence de l'enfer, du Mal. La question est: ce Mal – s'agit-il du mal que l'on oppose généralement au bien? Ou bien s'agit-il d'un mal qui serait au-dessus, au-delà de la distinction bien/mal? Comme un Mal originel?
Et n'est-ce pas ce Mal originel que représente l'Autre? Pensez à Sartre, si ça vous chante. Mais pensez-donc aux blancs-becs, dans mon genre. Et si l'on disait: l'enfer, c'est moi? Dostoiëvski n'est pas loin, de même que Stavroguine, le personnage central des Démons, et qui hante le roman plus qu'il ne l'habite.
Stavroguine – ou le raffinement, non pas russe, mais européen, qui se repaît de désordre et de trouble, fondamentalement et mentalement nihiliste, d'un nihilisme presque christique (et non pas critique), fasciné par l'extinction de toute différence. Extinction non pas radicale et tranchée, qui n'est pas rejet. Mais plutôt l'extinction de la différence par son anonymat, par sa massification.
Noyade de la différence, comme Ophélie face à la folie d'Hamlet.
Précision: citer Dostoïevski et Shakespeare dans un même texte est presque suicidaire (l'expérience suicidaire de l'écrire dont parle Cioran, peut-être?) car, contre un avortement, c'est noyer leur apport dans leur richesse même. Si vous voulez, il y a trop de choses en eux, et tout est noyé, et il n'y a pas sens à dire « Hamlet », « Ophélie » ou « Stavroguine ». Ces figures se vident en même temps qu'elles s'énoncent; comme le mot « silence » s'éteint en ce disant.
Je n'avoue pas ma défaite, mais je m'avoue blanc-bec.
Blanc-bec: celui empêtré, noyé inexorablement dans une masse (internet?) et qui ne portera sur la différence que des propos, à défaut de propositions, toujours empreints de leur présent – c'est-à-dire empreints/emprunts d'un passé donné comme trouble, mais aussi comme passé. « Passé » sous « silence ».
L'aveu est donc: pour moi, ces choses – les oppressions, les colonies – se donnent comme passées.
Peut-être – et plus qu'il ne l'imagine – le travail d'Olivier Marboeuf tend à penser (au moins penser – c'est dire! Et en même temps ne pas dire...) le caractère présent de la différence.
En-deçà de ce présent – dévorés que nous sommes par le fait que le passé ne cesse finalement de passer, sans jamais se présenter – en-deçà de ce présent, je suis condamné au trouble, à l'internet, à ces robinsonnades.
Je reste (le reste comme nouvelle catégorie, nécessairement bête, de la liaison entre passé et présent) je reste un blanc-bec. Ou un échiqueté?
Les blancs ne savent pas sauter. Les blancs-becs ne savent pas atterrir. Comme le dit Jean Durançon (dans son livre sur Georges Bataille), nous ne sommes jamais à la hauteur, mais toujours un peu au-dessus. Jamais à la hauteur. Toujours au-dessus. La piste que nous cherchions est une piste d'atterrissage. Faudrait-il que l'on se coupe les ailes? Et que fera-t-on d'un tel sacrifice?
Observation: certains oiseaux (ceux que j'ai vus étaient des pigeons – au hasard) étendent leurs ailes pour les abreuver de soleil. Ils se posent, toutes ailes déployées, et la chaleur du soleil les réchauffe. Leurs ailes, que l'on croyait servir à voler, servent aussi, et en fait, à emmagasiner de la chaleur, de l'énergie. A voler au soleil de l'énergie. Ce que seraient des ailes en-deça de la hauteur...
Vendredi – non la vie sauvage – mais un drôle d'oiseau, auquel on n'aurait pas coupé les ailes, mais qui les déploie à même le sol pour s'abreuver d'une lumière qui, au moins, le réchauffe. Vendredi se réchauffe avec Robinson (oh!), parce qu'il peut parler avec Robinson? Parce que Robinson lui apprend l'anglais? (l'angulaire anglais – l'angulaire langue anglaise, géo-métrique et ortho-normée, à la mesure du monde et légiférante)
Vendredi – l'oiseau dont le bec est blanc.
Clouer le bec, comme une crucifixion.
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