On pense tout à coup à dieu - et l’on voit combien la question de la démonstration de son existence est déterminante. dieu est vrai, donc il doit être réel. Mais dieu n’a rien d’une chose dite « réelle ». Ou comme disait Lacan, « Le réel, c’est l’impossible ». Par quoi précisément l’impossible devient éminemment possible. Et par quoi l’on voit que le contraire du possible, ce n’est pas l’impossible, mais un autre possible. L’impossible n’est pas négation du possible, mais de l’autre, en tant qu’autre.
Ou si l’on veut, il fallait qu’au possible soit opposé quelque chose comme l’impossible, afin de maintenir à l’écart l’autre. L’impossible, c’est l’Un-possible, c’est la possibilité de l’exception, cette exception qui « confirme la règle ». Un peu comme dieu. Sans doute l’impossible a à voir avec ce que l’on a appelé la théologie négative - qui dit que dieu n’est pas ceci, ni cela, mais il est éminemment ceci, et il est encore éminemment cela…
Eminence. Le sens propre: élévation de terrain, saillie. Comme l’appartement dans le film de Goldbach. Elevation qui indique la supériorité, ou encore, l’excellence.
Cella: garde manger, grenier, ou cellier
Cellatio: suite de petites chambres pour domestiques.
Vient de kel (« couvrir ») qui donne aussi celo, occulo « cacher », puis grec kalia (cabane) et plus loin gothique halja qui donne hell « enfer, monde sous terrain ».
Ogotemmêli, chasseur dogon aveugle, qui dévoila la richesse de la mythologie Dogon à Marcel Griaule, dans un ensemble d'entretiens sous le titre "Dieu d'Eau" |
A noter que chez les Dogon, les morts sont « enterrés » au dessus du village, dans des sortes de greniers supérieurs. En sorte que la structure du village vivants/ morts, répond à la structure de la maison, où le grenier renferme les réserves de nourriture. Il y a donc une économie de la mort - oïkonomia, en grec, ce sont les règles de la maison - qui voient les morts constituer l’énergie en réserve pour les vivants. (voir Jean Rouch)
Pourquoi cette digression sur les Dogons? C’est qu’elle éclaire notre chemin, qui va de l’excellence, au garde-manger, à la cabane, sans doute celle de Robinson, pour révéler une certaine économie de la mort. Qui est tout autant une économie de la vie, ou plutôt, une économie des vivants et des morts, pour ne pas dire des morts-vivants, puisque l‘on parle aussi de l‘enfer. Ce ciel qu’ils habitent, ou plus près chez les Dogons, ce « grenier », tout cela semble répondre, structurellement, à nos possibles qui hantent par leur virtualité, la réalité.
Et c’est l’angoisse de Robinson qui se trouve ici redéfinie. Il ne s’agit plus simplement d’un enchaînement/déchaînement de possibles qui le troublent, et les fantasmes de dévorations peu innocents qui le rongent. Robinson est environné de fantômes, de morts dont il sent qu’ils sont une réserve d’énergie, mais une énergie qui en même temps qu’il s’en nourrira, le possèdera, ainsi cette conscience, dite diabolique « evil », qu’il voit en lui-même insinuer de l’autre, s’insinuer comme autre. On pourrait dire que Robinson fait l’expérience de la folie, mais on pourrait dire que Robinson fait l’expérience de la conscience. Et non loin du stade du miroir, il s’appréhende lui-même comme sujet, mais cette appréhension relève toujours de l’image, est une image, un reflet.
Robinson a peur de ce devenir autre que lui-même, peur de ne plus se ressembler, mais pourtant, et c’est bien ce que le texte nous dit, c’est bel et bien lui-même qu’il finit par reconnaître, et c’est finalement une chose qui le rassure. Elle le rassure, mais la menace semble persister, de la même façon que devenu autre, il est toujours soumis à la possibilité que, de cet autre reconnu sien, il dérive vers une nouvelle forme d’altérité. En somme, puisque j’ai pu changer une première fois, je peux encore changer une autre fois: le moi est fondamentalement instable, et dernier. Il n’est plus au centre de soi, mais à la périphérie, c’est lui qui est reconnu, et non l’autre. C’est à l’aune de l’autre que j’accède à moi-même.
Décentrement - comme les divagations d’Un Archipel. Autant d’ilôts situés « à la périphérie de Paris », mais aussi à la périphérie d’eux-mêmes. « La périphérie d’eux-mêmes », le génitif peut ici s’entendre dans tous les sens - la propre périphérie de l’ilôt, comme la périphérie par rapport à un autre ilôt. Le chant, comme marqueur du territoire, comme une invocation. Invocation qui est en même temps évocation. Dedans/dehors. Il faut sortir du dedans, dans le dehors, pour faire sien le dedans. Mais une fois mis le pied dans le dehors, le dehors vacille comme dehors, et il devient dedans, tout comme le dedans dehors.
Revenons à notre économie dogon, et aux angoisses de Robinson: tout comme le dedans devient dehors et réciproquement, les vivants deviennent les morts et les morts les vivants - c’est tout le schéma de la possession, mais aussi de la nutrition. Ce n’est pas un hasard selon nous si la "culture", c’est aussi bien ce qui doit produire de la nourriture, et ce qui nourrit l’esprit - est-il nécessaire de rappeler que colo, en latin, c’est cultiver la terre, mais aussi adorer les dieux? Vous n’enverrez plus vos enfants en colo de la même façon, après ça. Ce qui nous ramène aux colonies…
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