vendredi 8 juin 2012

Une expérience de l’art au collège




Durant cette année scolaire, à raison en moyenne d’une fois par mois, je me suis rendue le jeudi de 15h30 à 17h30, dans une salle au 2ème étage du Collège Jean Moulin à Aubervilliers. L’heure d’un bilan objectif n’est pas arrivée, mais je sais d’avance que je méditerais encore longtemps cette expérience avec le désir d’en partager les joies et les interrogations.

Quelques temps avant la rentrée, j’avais rencontré les enseignants et entendu leurs désirs, qui, avec l’écriture du polar ou de la photographie, souhaitaient participer activement au projet d’enquête de la ville que je proposais. Les bases d’un travail collaboratif se posaient avec toute la richesse que cela allait générer. Au commencement, nous sommes donc partis sur un projet d’exploration de la ville à travers un travail de prise de son, de photographies et d’écriture de récits, teintés de références au polar.

Mais après les premiers ateliers je ne pensais qu’à une chose : épuiser les termes et ne pas chercher l’efficacité. Je voulais que ces contraintes d’écriture et d’enquête deviennent une pratique de la ville, du regard et de l’interrogation, une pratique d’écriture et de rencontre. Le polar est alors devenu un prétexte pour déjouer et jouer avec un certain champ lexical et le mettre en pratique : l’enquête, la peur, les indices, l’intrigue, l’observation, la ville, l’avenir, l’anticipation.

Je voulais errer avec eux et prendre le temps nécessaire à la rencontre. Une manière aussi d’assumer que cette rencontre ne va pas de soi et qu’il faut la conquérir, en créer les conditions, apprendre à tendre vers du commun là où un certain leurre nous ferait croire que c’est l’artiste qui déplace les élèves vers sa manière de voir le monde. Je crois que dans cette aventure, j’ai été tout autant déplacée qu’eux, et c’est tant mieux.

Car la place de l’artiste dans ce contexte, ce n’est pas une place conquise et le projet avec lequel on se présente ne peut pas être, me semble-t-il,  un projet calibré que l’on déplie et qui se réalise sans chercher à déjouer ses propres attentes et les projections de part et d’autres.

C’est ainsi que l’écriture collective d’une pièce sonore est devenue centrale. Et cette pièce allait être tout à la fois un document d’archive de notre expérience et une tentative d’enquête de la ville. Chaque atelier, chaque texte écrit, chaque discussion, chaque exploration dans la ville étaient enregistrés par les élèves. La matière accumulée je me chargeais alors de la dérusher et je revenais à l’atelier suivant avec les morceaux choisis, les éléments à monter, à mettre en ordre, les textes à écrire, les explorations à prévoir.

Comme des co-auteurs, les élèves ne se privaient pas de donner leurs avis. Ce fut un des points forts de ce projet: composer avec les désirs et paroles de chacun, apprendre aux élèves à les exprimer, les écrire, les défendre et en faire parfois le deuil au service de la fabrication commune.

Au fil du temps, j’ai voulu que l’on s’empare du collège, leur lieu de vie, leur autre ville, le lieu dont ils font l’usage tous les jours et qu’ils investissent à l’échelle de leur place dans le monde. C’est alors que j’ai découvert une salle abandonnée, une sorte d’aquarium vitré sous le préau, que tout le monde semblait ignorer. Je venais aussi d’apprendre que le collège était en voie de reconstruction. Il fallait transformer cet espace pour en faire le lieu d’une chambre d’écoute où nous accueillerons un public. Encore une fois cette proposition a été mise en partage avec les élèves, les enseignants et l’espace Khiasma. 

Comment allions-nous transformer cet espace, comment allions nous accueillir le public pour lui faire partager notre expérience ? Comment interroger l’architecture de nos espaces quotidiens pour se les réapproprier ? Les propositions des élèves ont fusé et nous nous sommes attelés à la transformation.

Nous voici maintenant à la veille de cette présentation publique. La salle a été repeinte et transformée avec l’aide des élèves et le soutien sans bornes de l’Espace Khiasma, le montage de la pièce sonore et du diaporama a été réalisé, notre manifeste et nos notices imprimés.

J’aurais presque envie de dire que c’est maintenant que le travail pourrait commencer. Maintenant que nous avons appris à nous connaître, maintenant que nous avons trouvé un langage commun. Maintenant que je suis moi aussi devenue une usagère d’Aubervilliers et du collège Jean Moulin. Mais c’est maintenant que le travail effectif se termine. Ce que j’espère, c’est que cette « Notice des usagers » que nous avons écrite, à partir de nos marches dans les rues d’Aubervilliers, de nos discussions sans fin, de nos lectures, de nos rencontres dans la ville, va perdurer, s’exporter et devenir autonome, comme une pratique du quotidien.


Merci aux élèves de la 4ème F. pour leur inventivité et la finesse de leur regard.  Merci à Marie Nicolas et Yann Renoult pour leur investissement et leur ouverture. Merci à l’Espace Khiasma pour la richesse de la collaboration et des conditions d’inventions offertes. Merci à Sarah pour son soutien et à Laurence qui a permis la magie de la transformation.
 



Caroline Masini,  Juin 2012

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