mercredi 30 juin 2010

La Kabane épisode 1



Dans un dernier effort après une saison bien chargée, Khiasma a investi pour la première fois le quartier des Fougères les samedi 26 et 27 juin.
Coincé entre les Maréchaux et le Périphérique, ce quartier est l'un des espaces où se déploiera la plate-forme de projet Mythologies que Khiasma développe pendant trois ans autour des mutations urbaines et du mythe du Grand Paris. Ou comment à partir du principe actif de la fiction se construisent de nouveaux territoires et de nouvelles manières de les habiter. Cette plate-forme a pour vocation d'accueillir de multiples interventions de formats et de contenus variés. Jean-Pierre Ostende, écrivain en résidence à Khiasma, y creuse actuellement l'idée du jumelage de deux quartiers HLM. Studio 21bis, duo d'artistes plasticiens, a dirigé la construction d'une cabane en carton au cœur du square Léon Frapié. Appuyée par une main d'œuvre locale, nombreuse, jeune et motivée, la construction de cette cabane en carton de récupération s'est étalée sur toute la journée du samedi 26 juin. Au soir, elle était prête à recevoir son contenu et des visiteurs pour la fête du quartier le 27 juin... (à suivre)

mardi 22 juin 2010

On prépare la fête de quartier des Fougères !


Permanence devant le local du 3 rue de Noisy-le-Sec, où est stocké le carton amené par les habitants... Luce est là pour parler aux passants du week-end à venir, avec comme point d'orgue la fête de quartier des Fougères au Square Léon Frapié dimanche. D'ici là, les artistes/constructeurs du Studio 21bis, aidés par les habitants, auront érigé une étrange construction éphémère...

Le post annonçant le projet de l'archipel des Fougères et des Sentes-Avenir


Les Locavores à l'école


L'installation de culture individuelle de la résidence Locavores d'Emilie Notéris est désormais installée à l'école primaire Romain Rolland des Lilas. Les élèves pourront observer la pousse des graines et des herbes aromatiques, jusqu'à la dégustation/rencontre prévue la semaine prochaine...




Retrouvez, sur le site de Khiasma :
- la résidence Locavores
- l'entretien d'Emilie Notéris avec Olivier Marboeuf
- un résumé vidéo de l'intervention de Nathalie Blanc

Check Poto ! (suite)




Le 12 Mars dernier, nous projetions à l'espace Khiasma Check Poto !, le premier film de Julia Varga, réalisé en résidence aux Laboratoires d'Aubervilliers.

Après un parcours de plasticienne, Julia Varga investissait avec ce film le champ du documentaire avec une plongée au cœur d'un lieu d'écoute et de soin réservé aux jeunes de 11 à 17 ans à Aubervilliers. De cette année passée à poser en silence sa caméra dans l'intimité des adolescents, elle tirait un portrait aussi touchant que cinglant sur une jeunesse à la dérive, fragile et lucide à la fois. Le ton est direct, la parole tantôt crue, tantôt faussement détachée, les mots et les regards fuient. Ça parle toute le temps mais pas toujours de quelque chose. Il faut guetter pour entendre l'aveu, pister une histoire décousue. La réalisatrice laisse le temps au récit d'apparaître ou à l'altercation de dénouer sa trame. Ça dure le temps d'une séance de vernis à ongle voire plus. Ça finit par une porte claquer ou par une chanson.
Les adultes, eux, sont le plus souvent hors-champs, ce qui confère à ce film sa puissance singulière ; celui de la jeunesse comme corps qui envahit le cadre, existe le temps d'une confession, d'une nuit à rattraper sur une banquette, d'un mauvais jeu qui finit par des insultes. Le cadre est restreint, une pièce, des chaises, invariable, mais très vite on oublie l'espace tant se projettent en filigrane toute la société, les familles et leur absence, l'école, la pauvreté mais aussi l'espoir d'une vie meilleure qui éclaire un visage ici ou crispe une mâchoire là.




Invité à intervenir auprès de la classe de M.Tiano au lycée Jean Renoir de Bondy, j'ai invité à mon tour ces élèves de première à découvrir le film lors de sa projection à Khiasma. Nous devions parler en classe de la place de la langue dans la construction sociale, entre stigmatisation, lien communautaire et domination symbolique. Check Poto !, avec ces jeunes au Français découpé à la hache, à l'accent d'un terroir inconnu, fut une parfaite introduction pour un débat vif dans la classe avec Julia Varga, quelques semaines après la projection.
Ces lycéens de Seine-Saint-Denis qui font des études portaient un regard contradictoire sur les autres, "les jeunes des quartiers", ceux qui parlent mal, qui quittent l'école tôt, "qui ne veulent pas faire d'effort". Apparaissait la complexité de l'identité banlieusarde dans des échanges sans concession sur le film, réaliste pour certains, caricatural pour d'autres.

Certains d'entre eux on écrit sur le blog de la classe : vous pouvez les lire ici
Un entretien avec Julia Varga est visible ici

lundi 21 juin 2010

L'Archipel des Fougères et des Sentes-Avenir



La ville se transforme. Le périphérique disparaît. Elle est bien loin la muraille de Chine qui séparait jadis la capitale de l'une des plus célèbres banlieues de France! Nous voilà avec un nouveau territoire, une nouvelle aire de jeu, mais aussi un espace qui pose la question de son avenir. Quel dialogue existe-t-il entre les grues et la ronde des machines, les nouveaux buildings qui sortent du sol toujours plus vite, le tram, un paysage en perpétuel chantier et ceux qui habitent ces territoires bouleversés ou les avoisinent ? Qu'est ce que les habitants inventent ou font bouger pour s'immiscer dans ces changements et y occuper une place active?

L'Espace Khiasma est voisin de la rue Noisy-le-Sec, artère commune aux Lilas et au quartier des Fougères. Cette proximité est à l'origine de "Ici Bientôt" , un projet qui relie ce quartier des Fougères et le quartier des Sentes-Avenir où s'investit Khiasma déjà depuis 2008 (cf Biennale d'Art contemporain ART GRANDEUR NATURE 2008: Christian Vialard et Rob Voerman, Basse continue, Supervisions).

"Ici Bientôt"
s'inscrit dans Mythologies, une plateforme de projets qui visent, à travers le principe du récit, à construire progressivement des situations de vie commune, des moments festifs et des lieux de rendez-vous. A travers un programme d'invitation d'artistes, d'évènements et d'ateliers de pratique artistique avec les habitants, nous posons la question: comment par le récit nous ne faisons pas seulement acte de mémoire mais aussi acte d'invention du réel?
"Ici Bientôt" est aussi le nom d'un journal, écho de ce qui se construit de visible ou d'invisible sur les quartiers.

Et cette carte de l'Archipel ?
Elle vous propose de saisir les premiers contacts, les premières impressions, les premières aventures, les premiers rendez-vous, qui dessinent progressivement une cartographie sensible, partielle et mouvante des expériences partagées et à venir de "Ici Bientôt".
Alors, glissez un oeil sur les Enigmes, Fêtes, Ecritures dans la ville, Images, Lieux ressources, Lieux éphémères, Passagers littéraires et perdez-vous dans la Zone indéfinie de contacts... en cliquant ici.

Notre prochain rendez-vous à venir avant l'été:
Dimanche 27 juin, à l'occasion de la fête du quartier des Fougères, le Studio 21bis, un duo d'artistes - architectes fous d'installations sauvages faites de scotch et de cartons récupérés - , invite les habitants des Fougères à construire la "Kabane" dans le parc Léon Frapié. Cette "Kabane" accueillera une programmation de films, diaporamas photographiques, sons.... réalisés par et avec les habitants des Fougères et diffusés pendant toute la journée du 27.

Le compte à rebours:
J-2:Vendredi 25 à partir de 17h30, nous prendrons l'apéro au local du 3, rue de Noisy-le-Sec, mis à disposition pour le stockage du carton
J-1: Samedi 26, journée de construction dans le parc à partir de 11h
J: Dimanche 27, journée festive au parc Léon Frapié où vous êtes tous conviés!

jeudi 10 juin 2010

ENTROPIE 8 : Partition



vue de l'exposition (© Matthieu Gauchet)

Une exposition de vidéo doit se confronter à un certain nombre de problématiques. Notamment à celle du "parasitage" sonore d'une oeuvre à l'autre. Sauf à considérer, les sons comme les éléments d'une partition. En choisissant les vidéos de l'exposition, j'ai donc imaginé en premier lieu des couplages sonores qui correspondaient à certaines sensations sur lesquelles je voulais travailler ( la relation son organique / son mécanique - électronique, le surgissement sonore, la dématérialisation) Il a fallu ensuite confronter ces idées à l'espace de l'exposition, en abandonner certaines, en reconsidérer d'autres (et proposer enfin des films dans le cadre de projections plutôt que dans l'installation principale) Distribuées sur l'ensemble de l'exposition, ces sonorités confèrent une longueur - une distance de parcours - une profondeur à l'exposition. Entropie est aussi nourrie de l'idée d'une sensibilité à l'expérience urbaine qui nous confronte sens cesse non à des sensations singulières mais à une empilement de perceptions sonores et visuelles, proches et lointaines, dans lesquelles nous isolons, selon notre sensibilité, des motifs précis. En essayant d'éviter le brouhaha, j'ai été sensible à l'idée qu'on pouvait percevoir / apercevoir l'amorce d'une oeuvre à partir d'une autre. Construire des "boîtes" séparées pour chaque film aurait été au fond la solution de facilité mais avec l'inconvénient d'isoler chaque pièce, chaque propos. Penser sur le principe d'une partition globale a permis de garder plus de fluidité à l'exposition, de transmettre la sensation d'un propos global, traversant l'ensemble du parcours.

A la partition sonore est associée une partition lumineuse. On entre par le noir, dans cette idée de grotte comme lieu d'apparition de l'image, lieu de révélation. On finit de nouveau par un espace noir, lieu du rite cette fois-ci, de la danse. Entre les deux se déploie un espace plus claire, plus ouvert, où s'affichent des signes d'urbanité, la ville comme construction sociale, comme "civilisation", c'est-à-dire comme incarnation d'une rationalité qui s'opposerait à la pensée magique. La persistance -secrète- d'un espace de croyance, de magie, dans l'ordre de la société contemporaine est une idée qui m'a toujours beaucoup travaillé, sans doute à cause de ma filiation avec la culture Vaudou.

Exposition Entropie à l'Espace Khiasma - Les Lilas
du 2 juin au 2 juillet
Ouvert du mardi au samedi de 15h à 20h - Entrée Libre

> voir la bande-annonce

mercredi 9 juin 2010

ENTROPIE 7 : La stratégie de la grotte


Image extraite de "Where in the World is Osama Bin Laden ?" de Morgan Spurlock (2008)

La seconde guerre d'Irak est un guerre de l'image, l'image comme preuve -les armes de destruction massive – l'image comme remède, comme médecine à la la blessure par l'image – l'attentat du World Trade Center. L'image insaisissable de l'ennemi, Ben Laden, elle-même enfermée dans une grotte – une chambre noire - dont il faut trouver le chemin pour la révéler. La guerre contre l'obscurantisme, régime sous-exposé des images.

mardi 8 juin 2010

ENTROPIE 6 : L'image dans le papier *


© Simon Quéheillard

Chez Antonioni toujours, on pourrait trouver l'un des arguments de l'exposition Entropie. Dans Blow Up, il y a ce photographe qui dans son labo voit soudainement apparaître une image – du crime- sur le papier. Image latente, qui est déjà là, cachée. Révélation. Avec Simon Quéheillard nous avons longuement parlé lors d'un entretien des dispositifs d'apparition de l'image. Il dit d'ailleurs : « voir une chose de la manière dont elle m'apparaît : cela fait une image. » Nous en reparlerons.
* titre du livre de Simon Quéheillard paru aux éditions Mix

lundi 7 juin 2010

ENTROPIE 5 : illusions


K.G Guttman, The Night Forever Unfinished (extrait vidéo)
C'est K.G Guttman qui m'a fait découvrir Niklas Golbach. K. G est une danseuse et performeuse canadienne. Nous avons produit à Khiasma, pour le festival Incandescences 2008, son installation « The Night Forever Unfinished ». Elle y danse à l'intérieur d'extraits de La Notte d'Antonioni. Dans l'espace, une dizaine de petits écrans sont suspendus au plafond. Et plus loin, son corps est projeté en taille réelle. Son dos appuyé sur le mur, elle rebondit. Se projette vers l'avant, s'arrache en douceur à la gravité qui, à chaque fois, la ramène au contact de la paroi. Un son mat, un sentiment de poids. Elle a peint une longue bande verte qui traverse toute la salle, de la couleur de la surface qu'elle utilise pour réaliser ses incrustations. Sur les petits écrans, elle pose sa silhouette sur des extraits du film en boucle. On se rend compte que ça danse, qu'Antonioni avec les corps de ces deux amants qui ne se parlent plus – Marcello Mastroianni et Jeanne Moreau- a dessiné un ballet, une lente séparation dans un champs magnétique. Le « Forever Unfinished » fait référence à ce jeu de boucles installé par l'artiste mais aussi aux relations indécises des êtres chez Antonioni. L'ensemble de l'installation est très doux, mélancolique même. Kg Guttman s'interroge beaucoup sur l'endroit où mettre son corps, sur sa place, physique, sociale dans un espace donné. Elle en fait des performances, des actions publiques dépouillées. Elle suit des gens dans la rue, où propose qu'on la suive, fait un bout de chemin avec des inconnus ou leur donne rendez-vous quelque part avec toujours cette disposition à se mettre dans un corps qui est un léger tremblement de son corps réel, un corps qui est un jeu. (voir extraits vidéo de l'œuvre)


Niklas Golbach était en résidence au laboratoire de création du Palais de Tokyo en même temps que K.G. Comme elle, il pratique l'incrustation, de son corps notamment, mais dans une version proliférante. Souvent des clones en costume muent par une activité improbable envahissent ses films. Chez Guttman , il y a encore cet espace concret, cet écran, qui est la surface de la fiction devant laquelle – ou sur laquelle- elle joue. Il reste quelque chose de la mécanique du simulacre du cinéma et probablement une affection pour cette bonne vieille illusion. Golbach met en scène l'ébranlement de ce régime de l'image, invasion de sa vérité, de sa valeur de preuve. Il clôt un chapitre ouvert avec l'invention de la photographie, pose un paysage d'incertitude. Mais tout ne résume pas pour autant a un jeu de trucages, aussi sophistiqués soient-ils. L'écriture de Golbach ne fait pas qu'altérer l'espace de ses films, il en abolit également le temps selon un principe de boucles qui étend à l'infini des séquences très courtes. En quelque sorte, ses films ne se déroulent pas, ils atteignent cet état de mouvement sans progression, récit figé qui n'est pas sans rappeler la sensation d'une erreur dans le code, erreur à l'intérieur de l'image qui n'est plus un instant de révélation capté par un jeu de surfaces, de lumières, un mouvement dans la matière, une réaction (chimique), mais un calcul mathématique qui déraille. Le bug dans l'image, le désordre dans la marche de la machine, autant de perturbations, de moments entropiques qui sont aussi des retours à l'expérience, à la présence au cœur d'une hypnose.
Dans « Night Shift » de Niklas Golbach, il y a ces oiseaux perdus qui planent dans un open space. Surgissement soudain d'un événement au cœur d'une situation vide.
Dans le livre d'or de l'exposition, une femme a écrit cette phrase pour moi énigmatique « Des oiseaux dans un bureau, c'est bien, c'est un symbole que toute le monde peut comprendre ». Il faudra y revenir. A Niklas Golbach aussi pour parler de paysage.

dimanche 6 juin 2010

ENTROPIE 4 : Un noir dans la neige



J'ai écrit un texte un peu bizarre fin 2009 pour les Editions de l'oeil. Libre commentaire sur l'oeuvre en devenir d'un jeune vidéaste sud-africain : Thando Mama. Cela s'appelle Neige. On peut le lire ici.
Quelques mois plus tard, je décidais d'intégrer in extremis l'installation « We are afraid » dans l'exposition Entropie. Il y est question d'une impossibilité de l'image et déjà de la quête de preuves sur le territoire irakien. Il faut marcher dans le noir pour trouver une image. Certains ne la trouveront pas.

samedi 5 juin 2010

ENTROPIE 3 : du son

Depuis le début de l'exposition Entropie, nombre de visiteurs ou de collaborateurs me parlent d'expériences ou d'oeuvres portant ce nom. Isabelle Le Normand (chargée des arts visuels à Mains d'Oeuvres - St Ouen), me fait découvrir le son hypnotique de l'album "Entropy" d'Etienne Jaumet.

Exposition Entropie à l'Espace Khiasma - Les Lilas
du 2 juin au 2 juillet
Ouvert du mardi au samedi de 15h à 20h - Entrée Libre

vendredi 4 juin 2010

ENTROPIE 2 : Bagdad no comment




Du 2 juin au 2 juillet 2010, Olivier Marboeuf publie chaque jour une note décalée sur l'exposition Entropie dont il assure le commissariat à l'Espace Khiasma.


A l'origine de l'exposition Entropie probablement des images du bombardement de Bagdad en 1991. Images mystérieuses diffusées à la télévision, terrifiantes absences d'images en fait, violence terrible car totalement abstraite. Collusion affichée entre la guerre et les jeux vidéo. On osera un temps parler de bombardements chirurgicaux pour illustrer ce spectacle radical. Du jamais vu dans des médias de grande audience. D'ailleurs la communication américaine ne commettra pas une deuxième fois cette erreur. Pour la seconde campagne, plus de dix ans plus tard, des journalistes seront embarquées ("embedded") pour fabriquer des images plus "humaines" que cette sauvagerie électronique.

Exposition Entropie à l'Espace Khiasma - Les Lilas
du 2 juin au 2 juillet
Ouvert du mardi au samedi de 15h à 20h - Entrée Libre

jeudi 3 juin 2010

ENTROPIE 1 : Voitures brûlées et forces invisibles.




Du 2 juin au 2 juillet 2010, Olivier Marboeuf publie chaque jour une note décalée sur l'exposition Entropie dont il assure le commissariat à l'Espace Khiasma.

Fin 2005, j'ai été invité à un débat. On y parlait des jeunes de Seine-Saint-Denis. Deux d'entre eux venaient de trouver la mort quelques semaines plus tôt dans un container électrique alors qu'ils tentaient d'échapper à la police. C'était à Clichy-sous-bois. Un troisième avait été grièvement blessé. S'en était suivi plusieurs jours de troubles. On avait dit des émeutes, on aurait pu dire « des évènements » comme pour la Guerre d'Algérie. Des manifestations indignes de porter leur vrai nom. La première fois que j'ai lu l'historienne Arlette Farge, j'ai découvert combien le peuple de Paris du XVIIIème siècle, celui d'avant la révolution, manifestait déjà beaucoup dans la rue son mécontentement et combien à cette évidente forme d'activisme on déniait déjà le nom de politique, dans un geste similaire à celui qui privait plusieurs siècles plus tard le jeune peuple de la banlieue de son droit le plus strict : la révolte contre l'injustice. Dans les écrits de Farge, le meurtre d'un jeune par la police (à cette époque on est jeune peu de temps, car on travaille souvent à 12 ou 13 ans) est déjà un motif central de la révolte populaire. Ce motif aura traversé les temps. Il y a cependant une différence notable. Si les révoltes historiques rassemblaient tout le peuple, les manifestations qui suivirent le drame de Clichy-sous-bois (qui allaient bientôt embraser de nombreux quartiers populaires dans toute la France) resteraient pour l'essentiel le fait d'une jeunesse pauvre de banlieue, classe séparée du peuple lui-même – et du reste de la jeunesse d'ailleurs.

Je m'étais déjà attardé à observer cette autre régime de la manifestation. Manifestation non linéaire, qui n'empruntait pas les rues et qui surtout ne cherchait pas à créer un rapport de force par la densité de son cortège. Nous n'étions pas en présence du corps social qu'avait pu incarner le monde ouvrier et ses organisations. Nous étions dans des manifestations furtives. Il ne s'agissait plus de peser par le plein mais plutôt par le vide, par l'angoisse, de créer des trouées, des absences, des soustractions. Il n'y avait pas de recherche d'adhésion mais une séparation consommée d'un peuple définitivement solitaire du reste de la société. Avec pour étendards, des images pour ainsi dire vides d'où surgissaient des corps eux-mêmes dissimulés, encagoulés, sans visage. Un absolu retrait du visible. A la guerre de front – que simulaient les cortèges battant le pavé - avait succédé la guérilla urbaine, une forme fantomatique de conflit. De ce retrait de l'image on n'a peu parlé, de ce refus de participer non pas au collectif mais à l'image collective (expulsion de l'image d'abord subie qui s'était mue en un processus actif d'auto-exclusion comme construction d'une identité minoritaire.)

Dans la salle, ce soir-là, lors du débat, une femme m'avait demandé pourquoi brûlaient-ils les voitures de leurs voisins qu'elle imaginait aussi pauvres qu'eux plutôt que de s'attaquer au bien des dominants. Je me souviens lui avoir dit qu'ils brûlaient des voitures près de chez eux, parce que d'abord c'était facile et parce qu'ensuite cela produisait une image. Une voiture qui brûle est une image extrêmement captivante, une image presque détachée, autonome des objets qui la constituent. Je lui disais qu'avec une réelle économie de moyens ils étaient parvenus à une production audiovisuelle indubitablement efficace (en témoignent les Unes des journaux papiers et télévisés qui se sont saisis de ces images de flammes des semaines durant.) Ce ne sont donc pas simplement des actes de violence, mais aussi – surtout- des images faites pour la télévision, en présence psychique de la télévision non seulement comme média (ce qu'il y a entre) mais comme paysage de la société, un en soi.
Mais ces images ne fonctionnent, à mon avis, que parce qu'il y a soustraction auparavant, qu'une boîte noire est confectionnée en quelque sorte. Le retrait des corps, les manifestants sans visage, le régime invisible de la lutte, les espaces urbains nocturnes indéfinis – qui s'opposent clairement à la rectitude des avenues hausmaniennes - sont les conditions de la réalisation de cette image. D'une certaine mesure, l'attentat du World Trade Center fonctionne dans un régime identique. A l'organisation invisible d'Al Qaeda succède un moment soudain d'hypervisibilité, une hyper image latente, pour ainsi dire déjà pensée, fantasmée par la société qui la reçoit et se charge de sa diffusion. C'est une image faite pour les autres, pour les toucher, les atteindre.

Quand j'ai commencé à travailler sur l'exposition Entropie, j'ai su qu'il faudrait quelque chose qui parle de cette médiation par l'image (violente) entre des mondes séparés. Le collectif Superflex nous offre une expérience jouissive et troublante avec Burning Car. Nous en reparlerons.

Exposition Entropie à l'Espace Khiasma - Les Lilas
du 2 juin au 2 juillet
Ouvert du mardi au samedi de 15h à 20h - Entrée Libre

Emilie Notéris - Les Locavores : Rencontre avec Nathalie Blanc


photos © 1 Matthieu Gauchet - 2 Émilie Notéris

Voir ici une vidéo de l'intervention de Nathalie Blanc.

Avec Locavores, Emilie Notéris propose un format original de résidence qui mêle une recherche en littérature contemporaine et mais aussi des invitations éclairantes et prospectives sur l'alimentation au XXIème siècle. Pour ouvrir ce cycle de rencontres publiques, l'écrivaine a choisi d'inviter Nathalie Blanc à intervenir sur le sujet de l'écologie urbaine. La prise de parole fluide de cette chercheuse au CNRS, spécialiste de géographie urbaine, a permis de saisir la complexité et les enjeux de la notion de « nature en ville », en balayant au passage certaines idées reçues.

Quand on évoque la nature urbaine, on pense immédiatement au « vert », aux pelouses bien taillées, aux arbres alignés au bord des rues et accessoirement aux savantes compositions à base de géranium. Or le rat et le cafard sont de la « nature », au même titre que le parc dans lequel s'égaie les petits citadins. Nathalie Blanc distingue la nature sauvage (les cafards et autres nuisibles), souvent considérée comme indésirable ; la nature socialisée (les espaces verts), et la nature produite, désirée, qu'elle relie plus volontiers au thème des Locavores : c'est-à-dire à un geste de relocalisation des cultures vivrières au coeur des villes, des potagers jusqu'aux toits des immeubles les plus inaccessibles.
Repenser la nature en ville, c'est interroger les représentations communes, avec une approche nécessairement pluridisciplinaire, nous dit Nathalie Blanc. A l'aide d'entretiens, elle ne cesse d'identifier de saisissants décalages entre les représentations, les pratiques et les faits. Si vous souhaitez vous préserver de la pollution de l'air, paradoxalement, ouvrez les fenêtres de vos voitures, et ne cherchez pas à faire de votre jardinet un Eden en puissance, meilleur moyen de capter la pollution urbaine...


photo © Matthieu Gauchet

La chercheuse a insisté en dernier lieu sur le caractère politique de la pensée écologique : s'attacher à produire du durable, c’est tenter de préserver des qualités environnementales nécessaires au vivre ensemble. Mais l'implantation et la répartition de la « verdure » en ville, la sélection des espèces selon des critères parfois arbitraires sont des choix éminemment politiques. Comme le montrent les cultural studies aux Etats-Unis, les inégalités écologiques recoupent souvent les inégalités sociales et l'aménagement végétal de la ville accompagne un processus indéniable de « gentrification » qui pose la question d'une nouvelle fracture spatiale.
S'intéressant au processus démocratiques à l'oeuvre dans la reconfiguration de la ville à l'heure écologique, Nathalie Blanc se saisit de situations exemplaires : d'un côté la construction de l’écoquartier des Batignolles, résultat d'une décision unilatérale des responsables politiques (top → down) et de l'autre les cas de quartiers verts à Arnhem (Pays-Bas) ou à Fribourg (Allemagne), fruits d'une mobilisation des habitants et d'une validation a posteriori par les politique. On le comprend bien, l'approche de la chercheuse relie la problématique écologique urbaine avec la nécessaire refondation d'outils politiques, qu'il s'agisse d'une pratique citoyenne élargie ou de réformes comme celle de la propriété foncière.
D'écologie politique, nous en parlerons la semaine suivante avec Jean Zin et Frédéric Neyrat.

En deuxième partie de soirée, Emilie Notéris a présenté en image différents projets architecturaux et technologiques liés au mouvement locavoriste. Ils valorisent une approche fonctionnelle, technologique et individuelle de l'alimentation prise dans une logique de subsistance. Même s'ils partagent avec les AMAP et les initiatives analogues une volonté de relocalisation de l’économie, ce sont deux schémas sociétaux qui s'opposent : d'un côté les AMAP, basées sur le lien social, l'organisation collective et le maintien d'une certaine tradition agricole « de terroir », de l'autre une vision plus technologique, hors sol (fermes urbaines, unités de culture domestique) qui semblent épouser une vision individualiste de la société.
Ces innovations technologiques, qui nous rapprochent de la science-fiction, anticipent une disparition annoncée des paysans et dessinent un monde où chacun est auto-suffisant, au risque d'entériner les plus radicales des conceptions libérales du monde à venir, au grand dam de certains des participants.
Emilie Notéris replace ces projets dans un contexte plus large, à la fois lié à la philosophie (notamment les écrits de Frédéric Neyrat) mais aussi à la littérature d'anticipation avec comme figure de proue J.G Ballard > lire ici l'entretien avec Emilie Notéris.

Voir ici une vidéo de l'intervention de Nathalie Blanc.