lundi 9 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 8




Il creusait maintenant depuis des heures. Il se tenait au fond d'un trou de plusieurs mètres de profondeur. N'avait ni faim, ni soif.
Il avait traversé nombre de matières inconnues de lui. Tantôt granuleuses, tantôt fluides, molles, bouillonnantes, cassantes, des torrents de billes synthétiques, des cristaux irréguliers, des coulées, des couches de sédiments, des cylindres de toutes les tailles. ll avait pensé chalcopyrite, micaschiste, granit rose, mais avait vu d'autres choses. Il avait imaginé silex, ardoise, grès, tourbe, basalte mais rien de ce qu'il voyait ne portait ce nom. Une odeur d'humus et de plastique fondu, de pétrole, une odeur d'animaux et d'oxydation, de gaz souterrain, de minerai, de charogne et de ciment. Une odeur de phosphore, de souffre, de polystyrène extrudé, de mousse et de putréfaction.

Il avait atteint une épaisse couche d'argile humide. S'y était plongé. On ne pouvait plus le reconnaître comme un bûcheron. Il n'était plus qu'une masse de glaise qui s'agite, une créature vaguement humaine poussant cris et grognements étouffés. Cela dura de nouveau un long moment et il crut qu'il n'arriverait pas à traverser cette terrible masse. Son esprit s'en allait. Il imaginait des mains qui pétrissaient la glaise et formaient un à un des petits hommes de terre. Bientôt, il y aurait des couples, des villages avec des toits de paille, le fumet d'un gibier jeté dans le feu, des dessins, des outils et très vite une armée avec des hommes montés sur des chars, tirés par des tigres, et des pierres empilées, des dieux et des charniers, autoroutes, buildings, créatures indistinctes posées dans la périphérie, émeutes, hélicoptères, projecteurs, charniers, renouveau, arche, déluge, tsunami, marée de boue informe, glaise redevenue glaise, tourbillon, tornades figées dans le ciel avec incrustations de mobile-homes, pavillons, souvenirs, voitures et chiens.

Quand sa pioche frappa de nouveau un objet solide, il revint à lui. Il chercha à tâtons, toucha au sol quelque chose de froid. Il regarda au-dessus de lui. Il s'était enfoncé de plusieurs mètres. La fumée avait envahit la forêt et entrait maintenant mollement dans la cavité qu'il avait creusé. Il ne distinguait pas le ciel, ne distinguait plus aucune forme familière. Avec le bout de sa chaussure, il découvrit les croisillons d'une grille qu'il souleva à l'aide de sa pioche. Un air frais entra par la base du trou et la fumée disparu bientôt dans les profondeurs. Il était prêt à s'engager lui aussi dans le tunnel quand il pensa soudain à la surface. Pas à l'autre bûcheron qui était parti dans la forêt ancienne, pas à sa lente progression, pas à la sensation d'un sol incertain sous sa voûte plantaire, pas aux cris d'animaux jadis domestiques, pas à la sensation de trouble de la distance, pas à la brume. Il pensait simplement à ce qu'il avait fabriqué sans le savoir en extrayant tous ces alliages inconnus, ces tonnes de matière qui maintenant s'entassaient à la surface. Il pensa qu'il avait créé une montagne, une montagne d'un genre nouveau.

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Où, quand, comment ?
Oeuvre in situ du Studio 21bis
du 6 Mai au 11 juin à l'Espace Khiasma
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