lundi 7 juin 2010

ENTROPIE 5 : illusions


K.G Guttman, The Night Forever Unfinished (extrait vidéo)
C'est K.G Guttman qui m'a fait découvrir Niklas Golbach. K. G est une danseuse et performeuse canadienne. Nous avons produit à Khiasma, pour le festival Incandescences 2008, son installation « The Night Forever Unfinished ». Elle y danse à l'intérieur d'extraits de La Notte d'Antonioni. Dans l'espace, une dizaine de petits écrans sont suspendus au plafond. Et plus loin, son corps est projeté en taille réelle. Son dos appuyé sur le mur, elle rebondit. Se projette vers l'avant, s'arrache en douceur à la gravité qui, à chaque fois, la ramène au contact de la paroi. Un son mat, un sentiment de poids. Elle a peint une longue bande verte qui traverse toute la salle, de la couleur de la surface qu'elle utilise pour réaliser ses incrustations. Sur les petits écrans, elle pose sa silhouette sur des extraits du film en boucle. On se rend compte que ça danse, qu'Antonioni avec les corps de ces deux amants qui ne se parlent plus – Marcello Mastroianni et Jeanne Moreau- a dessiné un ballet, une lente séparation dans un champs magnétique. Le « Forever Unfinished » fait référence à ce jeu de boucles installé par l'artiste mais aussi aux relations indécises des êtres chez Antonioni. L'ensemble de l'installation est très doux, mélancolique même. Kg Guttman s'interroge beaucoup sur l'endroit où mettre son corps, sur sa place, physique, sociale dans un espace donné. Elle en fait des performances, des actions publiques dépouillées. Elle suit des gens dans la rue, où propose qu'on la suive, fait un bout de chemin avec des inconnus ou leur donne rendez-vous quelque part avec toujours cette disposition à se mettre dans un corps qui est un léger tremblement de son corps réel, un corps qui est un jeu. (voir extraits vidéo de l'œuvre)


Niklas Golbach était en résidence au laboratoire de création du Palais de Tokyo en même temps que K.G. Comme elle, il pratique l'incrustation, de son corps notamment, mais dans une version proliférante. Souvent des clones en costume muent par une activité improbable envahissent ses films. Chez Guttman , il y a encore cet espace concret, cet écran, qui est la surface de la fiction devant laquelle – ou sur laquelle- elle joue. Il reste quelque chose de la mécanique du simulacre du cinéma et probablement une affection pour cette bonne vieille illusion. Golbach met en scène l'ébranlement de ce régime de l'image, invasion de sa vérité, de sa valeur de preuve. Il clôt un chapitre ouvert avec l'invention de la photographie, pose un paysage d'incertitude. Mais tout ne résume pas pour autant a un jeu de trucages, aussi sophistiqués soient-ils. L'écriture de Golbach ne fait pas qu'altérer l'espace de ses films, il en abolit également le temps selon un principe de boucles qui étend à l'infini des séquences très courtes. En quelque sorte, ses films ne se déroulent pas, ils atteignent cet état de mouvement sans progression, récit figé qui n'est pas sans rappeler la sensation d'une erreur dans le code, erreur à l'intérieur de l'image qui n'est plus un instant de révélation capté par un jeu de surfaces, de lumières, un mouvement dans la matière, une réaction (chimique), mais un calcul mathématique qui déraille. Le bug dans l'image, le désordre dans la marche de la machine, autant de perturbations, de moments entropiques qui sont aussi des retours à l'expérience, à la présence au cœur d'une hypnose.
Dans « Night Shift » de Niklas Golbach, il y a ces oiseaux perdus qui planent dans un open space. Surgissement soudain d'un événement au cœur d'une situation vide.
Dans le livre d'or de l'exposition, une femme a écrit cette phrase pour moi énigmatique « Des oiseaux dans un bureau, c'est bien, c'est un symbole que toute le monde peut comprendre ». Il faudra y revenir. A Niklas Golbach aussi pour parler de paysage.

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