mardi 7 décembre 2010

Un lieu qui ne serait que du temps


Béregère Lebâcle en performance pour Over Game

Dans le texte du livret de l'exposition "Tout ce que j'ai vu a disparu", je me suis penché sur la question du lieu. D'abord parce qu'on m'avait demandé de venir parler de celui que je dirige, l'Espace Khiasma - je me suis exécuté sous la forme de deux conférences très différentes sur ce même objet. Ensuite parce que la distance aide peut-être à mieux saisir d'où l'on pense.
Je me rends compte aujourd'hui que la trame de ce texte s'applique autant à l'exposition de Lorient qu'à ce que fut l'expérience d'Over Game à Khiasma :

"Lorsque l'on m'a invité à venir parler de l'Espace Khiasma, j'ai tout de suite pensé qu'il fallait tenter d'évoquer « ce lieu qui ne serait que du temps », pour reprendre les mots de la philosophe espagnole Maria Zambrano. C'est ainsi qu'il faut comprendre le terme « espace », ce qu'il y a entre, cet intervalle vide qu'il s'agit de parcourir, d'habiter. À la manière de l'homme qui marche vers le fond de la grotte ou qui descend par l'étroit appendice d'un aven. Ce ne sont plus les objets qui sont nommés ou même les points de départ et d'arrivée mais ce mouvement qui va vers. Parler donc d'un lieu, mais comme d'une forme éphémère, “activable”, une intensité critique. Un lieu, il faut bien le dire, est composé de nombreuses dimensions « matérielles » - qu'il s'agisse du bâti, des produits techniques, des flux financiers, de l'équipe qui l'anime, du public... - mais d'une certaine mesure, j'ai progressivement pris conscience que la seule manière d'échapper à la réification de la chose culturelle était de considérer que toutes les dimensions qui le composaient devaient pouvoir être mises en mouvement. Il y aura non seulement une pensée en mouvement mais aussi sans cesse un espace et une manière de l'habiter, ré-indexés aux nécessités d'apparition des formes. L'espace déborde de ce fait souvent de manière aussi fertile qu'imprévisible du cadre strictement artistique vers la formulation d'un espace social. C'est ce débordement qui fonde sa nature politique bien plus que des thématiques spécifiques ou même des opinions ; c'est-à-dire une déformation, une plasticité du lieu en fonction de ce qui a lieu, ce qui est vécu. Le lieu est alors une expérience entière qui se retire dès que le moment s'achève et l'image y est comme un « fantôme qui sue » (...) Ainsi la situation d'apparition d'une image est aussi composée pour une large part des différents lieux de discours qu'elle offre autant que de la nature de l'espace où elle prend forme. La grotte, prise comme objet d'art total - c'est-à-dire la grotte enfouie après avoir été découverte - répond à cette même nature dialectique. Elle opère à la fois dans le registre mythique – le récit- et dans l'histoire naturelle en tant que trace pétrifiée, c'est-à-dire dans le rêve comme dans la réalité avec autant de prégnance. À la nature stable et en ordre des formes de la spectacularisation contemporaine (les images, les lieux), on pourrait opposer des objets qui « ne seraient que du temps », du temps passer à en négocier le sens, à en discuter l'essence, à en entretenir le mythe car ils devront être inaperçus pour avoir une chance d'être vus. Par ce mouvement, il est possible de fonder des lieux. "

TOUT CE QUE J'AI VU A DISPARU
GALERIE DE L'ÉCOLE SUPÉRIEURE D'ART DE LORIENT

10.11.2010 -17.12.2010

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