mardi 7 décembre 2010
Tout ce que j'ai vu a disparu / Trésor
Poster Can ' 86 de Jacques Faton / (2005, poster noir et blanc 50 x 50 cm, recto/verso édition de 500 ex / production Khiasma/Pontos)
Comme il m'a été offert de tenter un retour sur ma pratique de « regardeur » d'images, je n'ai pu m'empêcher de placer ici encore une évocation du football, et plus particulièrement du football télévisé. On le sait, tout se déroule deux fois au moins dans le spectacle médiatique du football. Il y a l'image de la scène – qui n'est déjà plus la scène elle-même tant la prolifération du dispositif de tournage l'expose tel un pliage de plusieurs points de vue. Puis il y a la parole du commentateur qui dit la scène, la répète. Puis l'usage des ralenties qui la rejouent à une autre vitesse, en la détachant définitivement de l'évènement pour en faire un moment visuel parfaitement autonome, étirant dans le temps jusqu'au ridicule le râle du joueur qui simule d'évidence la douleur. Le fait de voir et d'entendre en même temps ce que l'on voit a toujours été pour moi une sensation particulière, pas forcément désagréable – sensation qu'explore actuellement sur un autre terrain, celui du spectacle vivant, mais sans ballon cette fois, Bojana Cvejic dans ses Running Commentaries aux Laboratoires d'Aubervilliers.
Même si le charme de cette double piste pleine de failles est d'avantage liée aux souvenirs des matchs télévisés de mon enfance qu'aux transmissions actuelles qui, par un usage exponentiel du nombre de caméras et du montage en direct tendent à fabriquer un spectacle essentiellement visuel – le commentaire est alors rejeté du côté du café du commerce reconstitué pour l'occasion sur des plateaux télévisés. Au contraire, le peu de tailles de plans à disposition pour une retransmission des années 80 par exemple (plan général du stade lointain, quelques gros plans hasardeux), la médiocrité de l'image et la voix lointaine du commentateur offre un spectacle où toutes les parties possèdent une large autonomie et où la prise en charge de ce qui est vu est aussi affaire de parole. Les retransmissions de Coupe du monde de cette époque, au direct incertain, sont marquées du sceau de la distance. La voix nous parvient des profondeurs, on y sent l'effort des ondes pour traverser péniblement la Terre. Une matérialité technologique, en somme. La voix surnage non sans mal au-dessus de la clameur infra-basse du stade. Les joueurs sont méconnaissables, leurs maillots bavent sur l'écran. C'est à ce régime que l'image commentée de football devient une précieuse relique, un rêve dont nous devons sans cesse vérifier qu'il a existé. Marius Trésor, Christ noir levant les bras au ciel (France-Allemagne, 1982), le commentateur prononçant son nom et en même temps, l'incrustation improbable au bas de l'écran où l'on lit la vérité de la scène : TRÉSOR.
L'affiche Can'86 de Jacques Faton rend hommage à une archéologie du football. C'est une image perdue du match Sénégal-Côte d'Ivoire, associée à la collecte des récits de ceux pour qui le souvenir de ce but fatal reste aujourd'hui encore un triste moment. Imprimées au verso de l'image illisible extraite d'une bande trouvée sur un marché de Dakar, les histoires de Can'86 sont techniquement invisibles quand on regarde l'image. En tournant l'affiche, le visiteur perd l'image au profit de son histoire. Ici récit et relique visuelle ne se répètent pas, le commentaire ne s'additionne plus à l'image, il en est l'alternative.
Jacques Faton a consacré une grande partie de son parcours artistique à la mémoire du football et j'ai partagé avec lui certaines de ses investigations sénégalaises.
Il exposait, il n'y a pas si longtemps encore à Arlon en Belgique, un nouveau chapitre de son travail passionnant.
TOUT CE QUE J'AI VU A DISPARU
GALERIE DE L'ÉCOLE SUPÉRIEURE D'ART DE LORIENT
10.11.2010 -17.12.2010
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