mardi 17 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 10



Ne vous laissez pas limiter par l'idée du Pays Basque. Ne vous focalisez pas sur la réintroduction d'espèces disparues. Ne pensez pas aux loups qui guettent les troupeaux. Ne pensez pas aux restes d'un mouton dans un alpage. Ne pensez pas aux ours. Cessez d'être fasciné par les aigles, par les chouettes immenses, par les bouquetins. Ne pensez plus aux créatures. Ne pensez plus le règne animal comme un empire industriel déposé dans le paysage. Ne vous limitez pas. N'imaginez pas un paysage de chalets couverts d'une poussière de graphite. Oubliez pour un instant les usines incrustées dans les crevasses, les fabriques troglodytes. Débarrassez-vous du sentiment d'autoroute, de la sensation de snack. Ne pensez plus à l'extraction, à la transformation. Chassez de votre esprit les lacets de la route, les semi-remorques, les 30 tonnes, les phares qui disparaissent, les lumières qui clignotent. Ne pensez pas non plus à Lavera, aux raffineries, aux cheminées qui crachent des flammes jour et nuit, à l'odeur de pétrole, au mouvement lent des tankers à l'horizon. Même s'il vous faut garder à l'esprit le sentiment de trouble de la distance. Et les grottes. Ne pensez plus en terme de fournaise, de feu, d'incendie, de canadaires, de collines chauves. Pensez à un monde sauvage. Pensez à un monde sauvage caché à l'intérieur, à la Préhistoire dissimulée dans une lisière, perdue dans un pli. Abandonnez l'idée de suspension hydraulique, de conduite assistée, de berline, l'idée de ceinture de sécurité, de verre modifié, d'écosystème climatisé. Oubliez l'idée de glisser sans jamais vous perdre. Oubliez le GPS, l'Airbag passager, le tableau de bord électronique. Vous êtes un chasseur, vous êtes sur une piste, vous levez les barrières, bravez les interdits, vous êtes au cœur d'un monde ancien.
Ne craignez pas le poison, les morsures, les substances inconnues. Ne craignez pas l'ivresse, les montées et les descentes. Ne craignez pas les herbes, ne craignez pas les feuilles, ne craignez pas les indiens qui titubent la bave aux lèvres juste avant de devenir des loups. Pensez au peyotl, aux bouquets de cactus gris qui recouvrent le sol. Pensez à la mescaline. Pensez à la canopée. Pensez à l’Ophiocordyceps unilateralis. Pensez aux fourmis-zombies qui grimpent jusqu'à la canopée. Vous y êtes. Ne perdez pas de temps avec les détails, le ciel rayé des trajectoires d'avions, les déflagrations au loin dans la montagne. Un vol d'étourneaux peut-être. Focalisez-vous sur la Préhistoire, les grottes, le sentiment de trouble de la distance et la canopée. Un monde sauvage est entré par votre bouche et se déplie maintenant.

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Où, quand, comment ?
Oeuvre in situ du Studio 21bis
du 6 Mai au 11 juin à l'Espace Khiasma
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