vendredi 17 juin 2011

Manuel du voyageur Impénitent n°2



Comme tout voyageur qui se respecte le voyageur impénitent envoie des cartes postales pour apporter la preuve de son séjour dans des contrées exotiques. Les habitants des Fougères, quartier du XXème arrondissement de Paris qui faut-il le rappeler est posé au-dessus du Périphérique à quelques centaines de mètres de l'espace Khiasma - mais de l'autre côté de la frontière - les habitants donc ont ainsi tous reçu une carte postale de cet illustre étranger. Ces cartes ; des bancs, des vêtements oubliés, des tas de sables, des fossés, des chantiers, un homme au sol, des grilles, un skate parc, ne sont pas autre chose qu'une collection d'images du quartier lui-même et l'invitation qu'elles colportent une exploration en bas de chez soi. Une invention du quotidien, dirait de Certeau. Une dérive dans les chantiers, un passage de la frontière en douce. Un devenir étranger du quartier. Traversé par des fictions actives, Le Manuel du voyageur impénitent est une invitation à de nouveaux usages de la ville, à un questionnement sur les marges étroites de l'invention sociale.
Rendez-vous donc le samedi 25 juin à 20h au Square Léon Frapié au coeur des Fougères à 20H pour l'épisode 2 et le samedi 2 juillet à l'Espace Khiasma pour la troisième ouverture (une conférence qui décortique la "fête obligatoire")

dimanche 12 juin 2011

Feuilleton d'un chantier 11



Le premier bûcheron se réveilla nu au sommet d'un arbre. Il était entouré de fourmis. Elles mordaient des feuilles en se tenant immobiles à la verticale. C'était un spectacle surprenant. Mais il ne pensa pas à leur disparition prochaine, il ne pensa pas à la main invisible qui les avait déposé là. Au poison qui les traversait peut-être. Il ne chercha pas à en savoir plus sur sa propre situation, l'endroit où ses habits avaient disparu, la force qui l'avait emporté jusqu'à la canopée.
Un vol d'étourneaux dessinait des visages dans le ciel. Il ne pensa pas au visage de sa mère. Il ne pensa pas au royaume de l'enfance, il ne pensa pas aux portraits des ancêtres, il ne pensa pas aux mythes indiens, il ne pensa pas aux aurores boréales où dansent les esprits des animaux.
Au loin la forêt lui semblait ridiculement petite. Pareil à une maquette. Il ne ressentait plus le trouble de la distance. Ni l'excitation de l'exploration.
Il apercevait la clairière grisâtre où il avait si longtemps travaillé et la forêt tout autour qui se déployait en un motif circulaire et répétitif. Il voyait distinctement qu'un cratère s'y était formé. Il voyait des montagnes aussi, un paysage alpin. Il pensa à la chute d'un objet stellaire. Il pensa à la subduction, à la rencontre des plaques, à la croûte terrestre glissant lentement sur l'asthénosphère. Il pensa à l'érosion, aux glissements de terrain. Il ne voulait pas penser à l'action de l'homme. Il ne voulait pas penser à l'autre bûcheron défonçant méthodiquement le sol. Il refusait de le voir progresser sous terre dans un tunnel d'évacuation rempli de ventilateurs. Mais cela relevait de l'évidence, c'est bien là que l'autre avait disparu.
Maintenant les étourneaux dessinaient dans le ciel des visages célèbres, des présidents américains, des milliardaires, des stars de cinéma, des leaders noirs assassinés, des otages au teint brumeux, des ayatollah. Il ressentait à quel point ils avaient été inutiles. Inutiles et lâches. Aveuglés par leur métier de bûcheron accompli chaque jour sans vouloir en savoir plus. À cautionner les massacres, à cautionner les viols, les mutilations, les frappes aveugles, à donner leur force vitale à une entreprise de destruction. Les étourneaux dessinaient dans le lointain des bannières magnifiques et inconnues, drapeaux où des têtes de squelettes souriaient au milieu de fruits exotiques et de femmes dans des postures obscènes. Hommes roulant des yeux en fumant des pipes d'os, géant Black-Face écrasant des buildings sous un ciel étoilé. Il savait qu'il devait descendre mais n'y parvenait pas. Il voyait la nuit venir de tout côté. Mais il resta là à fixer l'horizon où disparaissaient de derniers motifs fascinants qu'il fut incapable de nommer.

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Ce texte fait suite à l'exposition Où, quand, comment ?, œuvre créée in situ par Studio 21bis
à l'Espace Khiasma et présenté du 6 Mai au 11 juin 2011.
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dimanche 5 juin 2011

Alex Pou / suite de l'aventure



On avait entrevu à Khiasma le talent singulier d'Alex Pou avec la projection de son film Grand Capricorne dans le cadre de l'exposition Entropie à Khiasma en juin 2010. Ce film sera présent dans l'exposition Rituels qui ouvre demain, lundi 6 juin, à la Fondation Ricard.

Mais depuis un an, l'histoire de cette collaboration s'est poursuivi et Alex Pou sera l'un des artistes en résidence à Khiasma pour la saison 2011-2012 avec son projet Histoire de l'ombre (histoire de France) qui le verra notamment arpenter les limites de la Seine-Saint-Denis, Tremblay-en-France précisément, pour élaborer son prochain film.
À noter qu'un autre film, le Nouveau Nouveau Monde, fini cette année, sera présenté à Khiasma au début de l'année 2012 dans le cadre de l'exposition vidéo Les Nouveaux Mondes et les Anciens, deuxième partie attendue de la trilogie Entropie.

Comme les bonnes nouvelles ne viennent pas seules, Olivier Marboeuf a écrit L'invention invisible, un texte sur le travail de l'artiste à l'occasion de la projection de son film à la Fondation Ricard (à lire ici)