lundi 19 décembre 2011

Epouser Stephen King# 13



Fuyant la gloire j'ai repris mon métier. Rue Chassagnolle. C'est peu vous dire que j'ai maigri depuis l'époque de ma gloire. Le régime étant aujourd'hui à la banane de laiton. Et d'instinct n'ayant jamais consommé la banane crue. Me voici tombée à pic dans une fable. À table. À table. C'est le moment de sortir mon mort de l'ombre. Le mort qui me montre ce que je ne verrai ni ne toucherai de moi-même. Quel miroir dans un feuille remplie d'eau de pluie. Commençons par ses pieds devenus liquides. Et qui tiendraient dans un verre de cette eau doucement trouble. Les autres parties et ruines colonisées par les larves. S'acharnant sur la dépouille jusqu'à la troisième année. Il fait nuit noire. Nous sommes à cinquante-neuf kilomètres du premier centre habité. Assis sur le seuil de la maison il tend la main. Il tend son profil jusqu'au menton. Il dit. Je vous le promets. N'importe quel mort est le mien. N'importe quel empire. Héritage. N'importe quel naufrage tient dans mon verre. Sa langue dans ma bouche est un biscuit. Demandez-moi de garder une place dans le creux de la joue pour un quartier de mandarine. Un sucre. Une médaille. Un ruban. Un drapeau. Une récompense. C'est le fauteuil de devant. Placé en hauteur derrière l'Adjudant-Chef Trompette Major. La musique est en marche sur notre territoire aussi vaste qu'une hypothèse. Installée dans l'heureuse attente. Du jardin qui contient les paysages et ces histoires vendues pour réalité. Il dit en souriant que lui aussi est arrière petit fils d'esclave. Il dit. Je me saisis d'un début. L' Île des mauvaises gens. Et au fur et à mesure. Stylo après stylo. Séance de coloriage après séance de gribouillis. En triangles spirales carrés cercles pieds-de-poule rayures pois et machins. Le jour de gloire est arrivé. Au fur et à mesure. Comme le disait cette chanson. Je siège un sketch entre Michel Blanc et Michael Jackson. Rempotés en palmiers. Qu'on n'aille pas s'imaginer des êtres à face bestiale. Sous ma perruque en cheveux de femme j'ai la même tête que vous. La lèvre inférieure légèrement proéminente. La poitrine et des oreilles en peau de femme. Je. Mesure et organise vos chambres. Je. Bouge les socles. Je. Commémore les vivants. Je. Parle de la réalité avec des phrases simples. Je. Collecte les expériences. Je. Je. Perdais mon corps. Encore une fois. Reconnaissant les limites vite arrivées de la justice. Je. Pleurais. Pensant bêtement que les yeux sont une sortie. Ces limites-là gagnant les concours. De toute circonstance. À tous moments. Je. Vis dans ces limites tout à côté. De mon corps perdu. Cette tour ce décor de segments que. Je. Suis devenu. Avec la parcimonie des pauvres. Le. Savoir. Faire. Une chose à la fois. Le. Je. Décolle avec peine le dos de ce fauteuil. Les coudes de ces accoudoirs. À la fin de la projection. Je. Avais fondu au cours de l'interminable projection. Dans le trop étroit cinéma empli de moquettes usées. Je. M'excuse. Je. M'occupe. Souvent. D'espaces. De surfaces. Comme je m'occupe de. Personnes. Je. Aime. Inconditionnellement. C'est ça la fiction. Et. Je. En accepte malgré. Moi. Les conséquences. Je. Ferai autrement dorénavant. Je. Ai des fantômes bien élevés. Je. Les entends marmonner dans la nuit sans réussir à déchiffrer les mots. Ah. Je. Ai bu et ai tout oublié. Je. Mesure les dégâts au millimètre près. Entre deux palmiers. À gauche. À droite. Je. Suis en deuil. Je. Chemine constate et relate sans procuration. Que. Nous. Avons partagé. Les fenêtres très hautes. Avec vue sur la ville. Laquelle. Est un mur d'eau trouble. Nous. Tassés dans cette vitrine. Tout le reste. La parade. La bière L'odeur de friture et pour terminer La pluie qui s'est mise à tomber le lendemain.

mercredi 14 décembre 2011

Epouser Stephen King#12



C'est une amitié apparente de matériaux ordonnés en chantier. Leur organisation s'ouvre sur des multiples possibles. Comme une âme avec des longs bras. Dont la carnation restée pâle opèrerait des transactions. Une âme qui nous apparaîtrait dans sa fabrication constante. Une éventualité. Bâtie de pans de terre asséchée ou d'étendues de terreau tendre et humide gagné par la végétation. Guerlain. Vol de nuit. Dans le couloir du Boeing 707 les hôtesses prolifèrent impeccables dans leur fichu foulard Air France. Mousquetaires et romanesques. Leurs sourires penchés affleurent et s’offrent de part et d’autre. Droite. Gauche. Ça sent Fleur de Rocaille. Flèches d'Or. Fleur de Feu. Esbroufe. Drapée de rouge sur la page de droite. Jolie Madame. Toujours magiquement résistante aux remuements. Les cloisons les habits les relations y ont plus d'épaisseur. En les coupant nous trouvons du sang répandu. Dans les choses. Je les nettoie avec un chiffon attrapé dans cet agrégat de pages. Ça ce n'est pas de la fiction du tout. La valeur qu'a donné l'Empire à la banane. C'est un métier. Et je ne suis pas quelqu'un de cultivé. Je suis quelqu'un qui se laisse faire. Qu'on ne mange pas. Qui fabrique des philtres d'amour dans la confusion de plusieurs lieux en jonction. Qui partage sa case avec des enfants. Des vieux. Des dieux cochons. Je marie le premier venu jusqu'à ce que mort s'en suive. Sans m'étonner d'avoir à faire un jour à son fantôme. Cependant vous restez avec moi et nous restons en octobre. Réunis dans cette maison bien fraîche. Rassemblés dans cette maison spacieuse. Regroupés dans cette maison blanchie au rouleau. Par un artiste. Image immaculée d'un héros en bonne santé. Un enfant endormi sur les genoux de son grand père. Qui a analysé une image. Qui est allé chercher chez les morts. Je l'entends qui parle. Il a cette façon de conjuguer les mots. Il les fantasme avant de les intégrer à la réalité. Alors nous. Les enfants qui avons besoin de tout. Nous nous retrouvons couverts de coton. La main droite posée sur la hache de pierre. Aux aguets devant un menu culottes courtes. À nos pieds le monument couché commémore un discours révolutionnaire. Dans les creux et le plein pied de cette expérience. Par beau temps et entre les lignes. Et en tous sens. Les choses redites sont les mouches d'août qui ne cessent de s'organiser en vols bruyants. Dans une étroite cage d'escaliers que leur vol assombrit.

vendredi 9 décembre 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING # 11



Ton oncle a trouvé femme en Afrique. Marie Brizard. Dans ta famille on dit prendre femme. Alors ton oncle a pris cette femme. Un jour il est revenu avec elle qui portait un enfant. Gabrielle Chanel. À leur descente d'avion la famille attend contre la rambarde. Lui toujours bel homme. Et la santé hâlée. Il a voyagé vu et connu. Comme ces interminables couloirs d'hôpital dans lesquels j’ avance péniblement suivant les bandes de couleur. Exemplaire avec ma tête de chien truffier. Bientôt primée. Pour te voir je chemine sur le parcours Marron. Je dois me recueillir. Bien me concentrer. La porte du texte s'ouvre. Une famille au complet longe les palmiers à grands pas. Domestique et efficace je monte la garde naturellement. Faisant preuve d’attachement sincère. Et d’affection. Un diffuseur d'huiles essentielles est en marche. Parfait pour les voies respiratoires et les spéculations de mon MacBook Air. Notre vie à chacun faisant les jointures entre les respirations. Un pas après l'autre.

jeudi 8 décembre 2011

Epouser Stephen King #10



Nous avons cette conversation sous les réverbères. Où nous exhumons les objets communs et l'étrangeté qui accompagne cette découverte. Jusque dans les revers de la veste. Et de la page qui se remplit les poches. Du feutre des chapeaux. De la laine peignée des tricots. Du coton du t-shirt contre la peau en dessous. Ce que tu me dis est inconscient et sent un tout petit peu la bière ou le dehors. C'est dit tellement bas. J'ai l'impression que le silence n'existe plus. Car ici tout se tait dans un bourdonnement. Tandis que dehors le discours se consume entre l'index et le majeur. Part en regards. En fumée calme. Cet ensemble c'est nous. Le mouvement du devenir liquide siège son corps le tien et le mien pareillement et autrement. En toi moi eux. Spectateurs de nos propres images. Dans lesquelles nous précipitons.
Barbara Manzetti

mercredi 12 octobre 2011

Journal fantôme des colonies 1



En haut : Image extraite du film de Vita Nova de Vincent Meessen.
En bas : Vincent Meessen et Corinne Diserens discutent en public à l'espace Khiasma le samedi 8 octobre 2011 au cœur
de l'exposition My Last Life. © Matthieu Gauchet


Avec l'exposition My Last Life de Vincent Meessen et le programme Hantologie des colonies nous ouvrons la saison Les Empires Intérieurs. Il faut bien le dire, il s'agit là d'une saison assez spéculative où le programme n'est pas tant le reflet d'une Histoire en ordre, d'un discours éprouvé, mais bien une forme d'investigation, une enquête. Point de vérités donc mais, des œuvres qui distillent des questions irrésolues. Un programme où l'on avance à tâtons à la recherche des bonnes questions – à défaut de réponses. La pression politique est forte en cette période électorale et la tentation n'est pas moins grande de se jeter dans un débat identitaire, qui nous assignent dans des positions déjà écrites.

Il s'agirait, ici, de tenter plutôt de donner vie à de nouvelles approches qui remettent les dimensions sensibles au cœur de notre appréhension d'une histoire commune. Les artistes seraient ainsi nos guides ; des « guides ignorants ». Comment revenir au moment colonial sans repasser par les schémas des cultural studies, les outils des seuls historiens, les prismes déformants des joutes politiques et les pamphlets morbides des intellectuels de cours? Comment redistribuer dans le présent ce qui nous hante sans en appeler à des polarisations, qui empêchent d'éprouver les nécessaires contradictions de ce qui nous lie à l'autre. Comment remettre en circulation les histoires ? Hantologie des colonies nous offre l'occasion de chercher ensemble une manière de mettre en dialogue les strates multiples de notre société, dont certaines reviennent à nous sous les traits de fantômes. Histoires sciemment enfouies par les puissants, mais aussi images latentes, figures qui travaillent secrètement en nous, qui nous fondent et nous troublent. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que de convoquer un cycle de films pour débusquer des formes invisibles. Comme l'annonce le Vita Nova de Vincent Meessen, le film n'est pas ici l'endroit des certitudes ni quant à son sujet encore moins quant à sa forme. Dans ce cycle, il devient un dispositif sans cesse perturbé dans son effet de réalité, inconfortable, un véhicule accidenté. Comme un outil qui chercherait sans cesse son juste réglage pour faire apparaître en creux, ce qu'il ne peut montrer sous peine, en la réifiant, de perdre toute l'essence fantastique d'une apparition fugace. Débattre autour d'un film devient alors l'exercice d'une communauté éphémère, un peu à l'image de celle que met en scène Wendelien Von Olderborgh dans Mauris Script (10 octobre aux Laboratoires d'Aubervilliers), une ébauche de société sans autre certitude ni richesse que des histoires enfin prononcées, libérées, mises en circulation et ainsi disponibles à toutes les hybridations.

Tout au long de ce cycle, au travers de quelques notes, je me fais le témoin subjectif de ces débats mais aussi le spectateur attentif de films à venir. Ce sera le journal fantôme des colonies.

Olivier Marboeuf

dimanche 9 octobre 2011

« Des êtres au futur »



Vues de l'exposition My Last Life © photo Matthieu Gauchet


Discussion entre Vincent Meessen et Olivier Marboeuf autour de l'exposition My Last Life

OM : La spéculation sur les objets disparus, et surtout la possibilité qu’ils réapparaissent dans un contexte et un régime nouveau, est un motif important de tout un pan du champs de l’art actuel. Cela crée dans les faits un espace de relation ambigüe entre le champ de l’art et celui de la science dans la mesure où l’art s’empare à la fois du vocabulaire de l’enquête scientifique mais aussi de son esthétique tout en y introduisant la subjectivité, la fable. Cependant, au-delà d’une mise en critique des formes de la vérité scientifique – ou plus précisément de la place de la forme dans cette vérité - cela pose une deuxième hypothèse qui me semble plus importante encore quand on s’intéresse aux sciences humaines en particulier ; c’est la place du sensible dans le régime de la connaissance. Question qui est au cœur de la friction entre l’Histoire et le récit. Les largesses que prend l’artiste avec les outils de l’Histoire ne seraient pas seulement des questions de trivialité, mais aussi des méthodes d’exploration qui permettraient de saisir ce que la méthode historique ne peut retenir dans ses mailles. La proposition artistique relie des objets, les déplace, et fabrique même parfois des pièces manquantes qui ont un statut tout à fait particulier. Car il ne s’agit pas de preuves – au sens scientifique du terme. Ces objets ouvrent à une nouvelle lecture, à de nouvelles pistes, fragilisent en quelque sorte l’édifice des faits pour donner à voir la nature construite de toute histoire.

VM : Certains scientifiques ne parlent-ils pas de « negative proof » pour disqualifier et pour nommer l’irrégularité d’une procédure d’instauration du vrai ? Comme artiste, dire que la Vérité est le mythe de la science ne suffit pas, il faut le prouver...ce qui signifie rendre crédibles ses positions. Le choix philosophique ne se situe pas entre une positivité nommée « réalisme » et une négativité nommée « relativisme ». Plutôt que de se reposer sur la doxa de l’homologué « vrai », du plausible, une piste -et c’est peut-être à cet endroit que science et art se parlent le mieux- pourrait être de tenter un autre tracé, celui d’un possible, et voir où il nous mène, sur quel terrain pratique et conceptuel, sachant qu’en en faisant l’expérience, nous en sortirons peut-être changés. Pour cela, il faut accepter de ne pas se fonder sur les vérités constituées dans un champ unique, celui des sciences. Il faut accepter qu’il y ait d’autres formes de « réalisme » donc d’autres pratiques de constitution de soi. L’exemple, que tu mentionnes, celui de l’objet disparu, se prête bien à une spéculation. On peut aussi dire que l’homme n’a rien fait d’autre depuis bien longtemps, que de faire disparaître ses objets encombrants pour les faire réapparaître autres après quelques tours de passe-passe. Les sciences ne font pas autre chose, elles ont besoin de délimiter un champ, un espace de référence pour faire apparaître, via des opérations de simplification, des faits d’une nature spécifique. Elles se fabriquent leurs « faitiches » comme dit Bruno Latour. Dans l’exposition, trois petites œuvres nommées Factitius agissent sur la perception des documents et artefacts agencés autour d’elles. Factitius renvoit aussi le fétiche à son origine étymologique, à l’instauration historique du fétiche dans notre culture. C’est à l’origine un adjectif latin qui signifie « fabriqué ». Il a donné le mot « fétiche » mais aussi les mots « fait » et « fiction » ! Troublant, non ?

OM : Nous en avons parlé, et c’est l’un des aspects du programme Les Empires Intérieurs, j’aperçois ici la possibilité, grâce au geste de l’artiste, de remettre en circulation des récits « minoritaires ». C’est à mon avis indispensable pour ressaisir dans le présent les questions coloniales. Mais il ne s’agit pas seulement d’exhumer des récits – ce qui reste encore du ressort du métier de l’historien – mais aussi d’en fabriquer. Double dynamique qui me semble agir dans ton exposition My Last Life ; une dimension d’enquête, forme de réalisme documentaire, enchâssé dans un geste de fable - et donc indiscernable de ce dernier. Je reviendrai plus tard sur cette question d’enchâssement, d’imbrication qui est une structure significative de ton travail qui m’est apparue en voyant les dernières pièces produites pour l’exposition.

VM : Au fond, quelles différences y a-t-il entre l’historien et l’artiste qui, en définitive, ne sont comme tels que des abstractions ou mieux, des noms de personnages, des entités construites. Et ces personnages sont occupés, à travers leurs gestes et récits, à produire des lectures partielles de mondes. Ce qui diffère bien entendu ce sont les intentions, les formalisations, les instances de validation et plus fondamentalement encore les dispositifs de distribution de ces savoirs et croyances. Pour faire simple, disons qu’à la différence de l’historien mobilisant des discours et outils à visée « authentificatoire », je pense que la pratique artistique se tient résolument du côté de l’interprétation... et donc du côté de l’irrésolution. Certains artistes de ma génération tentent en effet des formulations qui permettent de penser les représentations de l’Histoire en général et de l’Histoire de l’art moderne en particulier. Contrairement à une vague formaliste et nostalgique qui relit le modernisme comme un continent perdu, j’ai personnellement plus d’intérêt pour les travaux hybrides dans lesquels la question du récit n’est pas bradée au profit d’un repli formel sur les motifs des modernes. Comment met-on l’Histoire en récit en vue d’échapper à son projet d’embaumement du vivant, à briser sa temporalité unifiée, sa sélectivité et son amnésie. Comment se ménager des lignes de fuite, car c’est ce qu’elle essaie de limiter aussi ? L’Histoire est politique, parce qu’elle concerne tout autant le passé retranscrit que le futur qu’elle tente, par sa force de persuasion, de préempter. L’Histoire est aussi, et peut-être d’abord, une forme d’occupation du futur. Une proposition consisterait peut-être à s’essayer à une mise en intrigue, à une forme de « réalisme spéculatif » : acter un « étant donné » qui n’aurait d’intérêt qu’en vertu de ce qu’il est à même de faire advenir. Autrement dit, fabuler permettrait de repartir du fait pour en actualiser certaines potentialités non encore expérimentées. Ce programme serait d’ordre empirique et récitatif et convoquerait concept et document.

OM : L’exposition est toute entière articulée autour d’artefacts coloniaux. À la manière de Fac Dissimile, ta production de fac-similés de Paris Match où tu mets en évidence la valence coloniale, ton exposition procède de l’intensification d’une piste finalement peu travaillée à l’endroit de Barthes, sa filiation intime avec le moment colonial. Ici tu remets en scène, comme d’ailleurs nombre d’artistes du programme Hantologie des colonies, l’histoire de la relation du petit-fils (ou de la petite fille) aux grand-parents, histoire elle-même marquée par un mélange de réalisme et de fantasme. Nous parlions l’autre fois de la manière dont nous vivons avec les morts ou plutôt de notre incapacité à le faire, ce qui devient le nœud irrésolu de tout le processus historique en Occident. J’ai l’impression que c’est à cette question à laquelle tu t’attaches particulièrement et qui sous-tend ta relation aux formes du monument ou du tombeau que tu convoques ici.

VM : Exactement. Mais peut-être qu’au lieu de moment colonial, il faut parler ici de « colonialité » . Le colonialisme est, lui, ce moment colonial appuyé sur un corps de connaissances occidentales enfouies - les sciences coloniales-, le discours légitimant de la prédation. Ce moment est une longue durée et toujours actuel même si les formes ont muté. La « colonialité » est, pour moi, intemporelle, elle est de l’ordre de la méthode, du geste, de la saisie et de l’occupation. « Décor et Conquête » disait Marcel Broodthaers pour souligner ce paradoxe de l’artiste. Car la « colonialité » concerne la pratique artistique au premier chef. Dans le champ de l’art occidental, Broodthaers est peut-être l’un des premiers artistes à mettre subtilement cette « colonialité » en tension avec le colonialisme. Tu as raison, la filiation est peut-être doublement de l’ordre du code. Elle n’est donc pas que biologique -le code ADN- , elle renvoie aussi au corps de connaissance -au corpus-, tous deux porteurs de codes différents. L’Histoire, comme discipline moderne à prétention scientifique, est une façon de transmuer le code biologique en code culturel, elle offre une rationalisation de la mort, promet un avenir à tous en dehors des patrimoines biologiques . Notre problème est peut-être que nous ne considérons pas le mort comme un être social or c’est ce qu’il est, vivant au sens d’actif, au sens où certains d’entre eux continuent à nous obliger. Chez nous, l’image est au coeur de ce commerce vivant avec les morts. Broodthaers, par exemple, est mort, son mode d’existence change, sa figure se transforme et quelque chose d’irrésolu m’oblige. Il y a bien un futur à la relation même avec ceux qu’on a pas connus. Elle peut être traumatique et violente. Ainsi la programmation d’Hantologie des colonies nous expose à des positions sensibles qui tentent de mesurer au présent les effets psychiques, historiques, sociologiques, économiques de la nécropolitique coloniale -la politique d’administration de la mort dont parle le penseur camerounais Achille Mbembe- et aux façons singulières dont certains artistes et cinéastes tentent, à leur échelle, de conjurer ce sort.

OM : Lors de l’une de nos précédentes discussions, tu me disais d’ailleurs très justement que l’enfant de troupe en couverture de Paris Match est une image invisible dans Le Mythe, aujourd’hui. Elle n’existe que dans le texte, c’est une image mentale. Elle ne commence à apparaître comme iconographie et à être reproduite qu’à la faveur des interprétations anglo-saxonnes de l’œuvre. Ainsi, il fait exister l’image dans son absence, dans sa puissance fantomatique. Et, peut-être, que les opérations que tu proposes au contraire visent à donner à voir la forme qui ne serait plus en retrait de la littérature, qui sortirait de l’ombre.

VM : Oui, cette image a acquis un statut iconique dans le monde anglo-saxon particulièrement. Certains lecteurs ont voulu retrouver cette image, qui leur parlait tant sans qu’ils ne l’aient pourtant jamais vue. La portée de cet essai dans les champ de l’art, mais aussi dans celui des postcolonial studies fut de fait très importante. Mais à la reproduire comme illustration, elle en est venue à signifier bien autre chose encore. Vita Nova, est une tentative de rendre crédible un leurre : faire le punctum de cette image, de nommer le profond trouble de Barthes en montrant que ce trouble est d’une part relié à l’intime familial, à la grande Histoire, mais aussi et surtout que le présent en reste affecté. Les mises en récits sont concurrentielles et donc politiques. Invisibiliser les images pour Barthes, c’est une technique qui dit bien que l’enjeu n’est pas seulement celui de la critique, ça permet l’opération imageante, le récit. La photographie pour lui, c’est l’objet magique par lequel s’opère finalement d’ailleurs l’élucidation. Elle oblige à se confronter au réveil de l’intraitable réalité, celle de la mort. En littérature, « faire vivant » veut dire « voir mort » écrit-il. L’écriture est une mise à mort. La photographie est résurrectionniste, elle est donc un moyen qui permet l’écriture, rend possible une sortie de la négativité. Ne nous y trompons pas, le procédé technique de la Chambre claire est à l’opposé de la photo, c’est une technique de dessin hyper-réaliste, il s’agit d’une façon de revenir à l’écriture par le trait.

OM : Du coup, j’ai l’impression qu’il y a un effet de spirale dans ton exposition, dans la mesure où elle déclare clairement le Barthes artiste en donnant corps à une œuvre, qui n’est pas la sienne, mais qui opère dans sa logique, à une œuvre qu’il aurait réalisé conceptuellement.

VM : C’est une hypothèse possible, celle d’une possession. Le titre de la présente exposition est ouvert. On ne sait pas qui parle. Quand Barthes fait sa grande déclaration de la mort de l’auteur, comme formation historique moderne, il pointe Mallarmé comme meurtrier. La vie peut désormais imiter le livre dont le texte n’est plus « qu’un tissu de citations issues des mille foyers de la culture ». En exacerbant le régime citationnel, on est emporté dans le mouvement spiralé et vertigineux de la culture. L’auteur, comme formation historique, est mort mais ne disparaît pas pour autant. Il change de corps mais hante son site de prédilection, celui de l’Histoire. La spirale permet le voyage dans le temps. L’auteur revient comme personnage.

OM : Oui, je parlais de spirale dans le sens où tu appliques non seulement la dynamique de Barthes, mais tu l’appliques au sujet Barthes, qui devient lui-même un personnage : Herbé. Si l’on suit sa logique de recherche du romanesque sans le roman, on peut déclarer, à la suite de Jean-Yves Jouannais, Barthes comme un artiste sans œuvre. Et l’on comprend alors que le « sans œuvre » n’est pas un signe d’inaccomplissement mais bien une particularité de son art.

VM : La spirale, c’est la métaphore de la métaphore. Pour moi qui ne suis ni critique ni philosophe et qui ne l’ai pas connu de son vivant, Barthes ne pouvait revenir que comme personnage et rôle, être joué. Si écrire, c’est mettre à mort le vivant pour le ressusciter ailleurs, et que l’écriture consiste à construire un monument funéraire, alors l’écriture de soi, l’autobiographie, n’est plus l’écriture de sa vie, c’est l’écriture de sa mort vivante. Barthes scénographie cet événement : je vous écris comme déjà mort. La proposition de Jean-Yves Jouannais pourrait donc peut-être être inversée : ne s’agit-il pas plutôt d’une œuvre sans artiste ? C’est ce qui caractérise le Mythe d’ailleurs. C’est aussi ce qui m’a poussé à fabriquer la sculpture « Discours » . C’est un « model » au sens où les anglais l’utilisent, une maquette à l’échelle, d’un monument sankariste aujourd’hui menacé de destruction. Mais la date et le programme ont changé. Discours pointe à son sommet un programme anhistorique, celui du devenir-artiste de Barthes par la tierce forme.

OM : Pour poursuivre sur Barthes qui est l’une des figures – ou peut-être même la seule figure diffractée - de l’exposition, il me semble que tu viens à sa rencontre dans une logique assez singulière. Il ne s’agit pas d’un portrait, ni hommage, pas tout à fait d’une relecture non plus. Mais plutôt d’une considération relative à sa littérature que tu choisis de ne pas aborder dans sa seule forme critique ou romanesque mais dans sa perspective de méthode. C’est cela ; la littérature de Barthes comme méthode d’un devenir artiste – et dans ton travail comme méthode de production d’œuvres. Donc une littérature déplacée de son objet ou au contraire peut-être ramenée à son objet caché – dans une opération qui ramène ce qui pouvait passer pour une figure de style à une forme de programme, une pratique concrète. Prendre à la fois Barthes au pied de la lettre – (Tout) ceci doit être considéré comme dit par un personnage (de roman) – et le déplacer, et ainsi tracer de nouvelles perspectives, de nouvelles chimères qui achèvent la mise à mal du biographique voulue par l’auteur. Et de nouveau, il me semble que dans ton geste d’artiste on retrouve l’écho de la dialectique entre le réalisme – la citation - et la fiction – le déplacement. Dialectique qui est la marque du projet barthésien par excellence et qui trouvera des échos dans son œuvre dans l’affrontement poétique / politique.

VM : Si j’ai poussé mes recherches en produisant d’autres travaux au-delà de l’hypothèse filmique de Vita Nova , c’est parce que le projet intellectuel de Barthes se révèle être au final un véritable projet artistique situé au carrefour du réalisme et « du » conceptuel. Art conceptuel que je rattache à une forme de spéculation en actes. Ce projet d’une vie entière est celui d’une Littérature impossible. Il est d’abord mené avec le masque de critique qui circonscrit la scène du crime des Modernes. Puis, ses livres sont, pour moi, comme autant de passes magiques par lesquelles il fait revivre certains illustres morts -ses personnages conceptuels au sens deleuzien- pour les besoins de ses récits. Certes, il pointe son masque de critique du doigt mais il ne l’abandonne jamais totalement car le seul projet d’écriture viable, à ses yeux, est celui d’une tierce forme dont je parlais plus haut, du « third text » en fait, cet amalgame -au sens alchimique- entre une écriture critique (le métalangage) et une écriture mythologique (le romanesque). Quand l’équilibre s’inverse et que le romanesque prend l’ascendant sur le métalangage, c’est « je », un personnage de papier qui parle. Le nom civil « Roland Barthes » devient en quelque sorte un pseudonyme, celui du personnage Herbé. Herbé est dans l’exposition nommément invoqué dans les trois petits œuvres Prolepse, des ouvrages fantasmés par Barthes qui prennent ici corps.

OM : L’installation de la phrase de Barthes - (Tout) ceci doit être considéré comme dit par un personnage (de roman) – à l’entrée de l’exposition constitue aussi un jeu d’interpellation du visiteur, une forme d’avertissement, de mise en condition. Du coup, la phrase fonctionne à plusieurs niveaux, autant dans la citation que dans le registre de la sculpture mais aussi de manière inédite dans le champs de la médiation, c’est-à-dire dans cet espace qu’on a coutume de penser comme extérieur de l’œuvre. En quelque sorte, avec cette proposition tu prends en charge à la fois l’œuvre et son commentaire.

VM : Prendre cette injonction de Barthes -(Tout) ceci doit être considéré comme dit par un personnage (de roman) – et la déporter dans le champ de l’art, non pas d’abord comme argument d’autorité mais comme adresse anonyme, c’est effectivement tenter de moduler un rapport. Si l’on veut décrire Forgerie -c’est son titre-, on pourrait dire que c’est une imitation d’écriture mais c’est en outre une adresse programmatique et orpheline. Comment coexistent le personnage Herbé et son référent biographique sinon, au minimum, sous la forme d’une tête de Janus ? Figure dédoublée, figure mythologique du passage, avec d’un côté un visage tourné vers le passé, ce serait la face qui scrute l’Histoire, afin que de l’autre côté, le second visage, celui du devenir-écrivain, puisse s’inscrire en toute sécurité dans le futur, qui n’est donc ici que de l’Histoire en sursis. J’inscris ce travail dans un jeu de degrés, je participe ici hérétiquement et avec d’autres outils à la dispersion inconditionnelle du sens.

OM : Pour parler maintenant de la question de l’enchâssement que j’évoquais tout à l’heure, je pense qu’il est utile de revenir un peu en arrière dans le temps. Quand j’ai découvert pour la première fois le film Vita Nova en 2009, à la Biennale Contour de Malines (Belgique), il était montré seul en projection. J’ai été très marqué par la densité des questions qu’il mettait en jeu. Cela donnait l’impression d’une forme de saturation de sens. Il y avait là de multiples pistes qui restaient ouvertes, des lignes de fuite qui chacune détenait une histoire possible. L’hypothèse documentaire qui ouvrait le film s’évanouissait au bout de quelques minutes. Elle nous laissait en quelque sorte orphelins d’un terrain connu – l’enquête documentaire. On se retrouvait alors errant parmi les fantômes comme un voyageur qui perd ses papiers dans un pays inconnu et qui cherche une forme de familiarité ou plutôt est troublé par la familiarité dans ce territoire étranger. Car il connaît le nom des rues, des villes qui sont les dépôts, la contremarque du passé colonial. Et plus le film se développe plus les lignes de récit deviennent nombreuses avec l’apparition de la figure de Binger, le grand-père de Barthes, qui ouvre un autre voyage spéculatif sur les relations intimes de l’auteur avec l’histoire coloniale. Nous en reparlerons car le film dit d’autres choses encore, mais je voulais retenir ici des pistes qui trouvent leur développement dans l’exposition My Last Life. Non pas que le film ne soit pas une forme autonome – il est inédit en France mais a été exposé et projeté en Europe et en Afrique – mais qu’il prend ici un autre statut. Il devient une espèce de plateforme dans laquelle s’enchâssent les autres pièces de l’exposition, qui apparaissent alors comme les prolongations de certaines de ses perspectives. Cette structure d’imbrication est devenue pour moi évidente quand j’ai découvert les vitrines de Corpus dans lesquels les objets ne sont pas seulement déposés mais inscrits dans différentes directions de l’espace, chacun offrant ainsi à la fois un sens, une matière mais aussi une perspective.

VM : Dans mon travail, je parle souvent plus volontiers d’empiètement que d’imbrication ou d’enchâssement parce qu’un empiètement renvoie à la transgression d’un seuil et même, dans son sens juridique, à « un vol par colonisation ». Je devrais mettre les guillemets pour signaler que cette formulation est en fait de Barthes mais utilisée dans un autre contexte. Il utilise la métaphore du « vol par colonisation » pour décrire le fonctionnement du mythe. Tiens, voilà que notre entretien me permet d’ajouter une nouvelle pièce au puzzle de l’exposition. Mais je continue, donc, le mythe déplace les objets mis en récit, les transporte et les dispose ailleurs. Disposer, c’est immanquablement créer un nouvel ordre, réorganiser le discours, agencer un plan de composition. Corpus concrètement, c’est un ensemble de trois vitrines desquelles auraient été ôté les couvercles et dans lesquelles sont disposées, outre diverses traces documentaires, Prolepse et Factitius ,deux petits travaux évoqués tout à l’heure. En tant que spectateur, on a un accès tactile à certains des objets disposés. Corpus met en co-présence des fragments hétérogènes, c’est un agencement de quasi-objets dont la mono-fonction est partiellement suspendue. C’est donc un échantillon, la trace d’un carottage temporel qui fonctionne comme un possible montage parallèle du film Vita Nova.Comme tu le dis, cela ouvre d’autres perspectives sur l’histoire racontée. Les objets sont remontés, leur fonction se pluralise : documents, objets et plans.

OM : Oui, cette idée de vol par colonisation est évidemment un écho très fort au sujet même de l’exposition mais j’ai l’impression qu’au-delà de l’empiètement il y a clairement aussi dans ce que tu produis un intérêt particulier pour le constructivisme -
et donc les logiques d’imbrications mécaniques des choses.

VM : Les mots se fabriquent, ils se démodent et se multiplient. Dans l’entre-deux guerre, un philosophe démodé, Etienne Souriau, a avancé l’hypothèse du multi-réalisme pour penser les différents modes d’existence. Il écrit alors que pour savoir ce qu’est un être, il faut l’instaurer et même le construire, soit directement si c’est une chose soit indirectement par représentation. Il se demande s’il faut sacrifier à la Vérité des populations entières et les rayer de toute positivité existentielle ? C’est donc une invitation à multiplier les mondes. Je pense que cette proposition a des points communs avec l’animisme qui affecte des âmes aux choses et aux vivants et où le mort n’est pas mort, pas coupé des vivants. Ils cohabitent. Le mort est invisible mais ces invisibles sont des êtres vivants, des êtres au présent. Et même au futur. C’est cette « mémoire du futur » qu’évoque le narrateur dans Vita Nova.

OM : D’ailleurs, je voulais revenir à ce sujet aux corpus de Barthes, à la manière dont il découpait méthodiquement des images pour les coller sur des pages afin de composer des formes de mondes visuels intuitifs – méthode de travail qu’il soumettait d’ailleurs également à ses élèves. Il me semble que cette pratique de compilation ne saurait être bornée à la seule fin d’une notation, d’un exercice. Il s’agit clairement aussi – et peut-être surtout- d’une méthode de création à part entière qui procède de la translation et de la création de sens par concomitance et accident.

VM: Entièrement d’accord sur ce que tu dis concernant le geste compilatif. L’usage d’un outil de collecte et de traitement est devenu aussi un enjeu lors de cette recherche. La question est banale : comment un outil affecte concrètement les termes de la recherche ? Comment il restreint les hypothèses ou au contraire libère le chercheur lors de l’expérience. Avec Cosmographe, c’est ce qui s’est passé. Grâce à un logiciel libre qui traite et optimise des données en vue de générer lui-même des diagrammes, j’ai tenté de tracer un premier réseau de connections. Il visait au début à relier les éléments hétérogènes agencés dans Corpus . Comment, par exemple, le nom d’Herbé renvoit à ceux Hergé et à d’Erté ? Comment le personnage de Bichon - objet d’une mythologie de Barthes en 1955 et très présent dans Corpus, qui grandit littéralement dans Paris Match entre 1955 et 1966, est-il lui aussi lié à Hergé ? Et comment le photographe qui photographie l’enfant de troupe pour Paris Match en 1955 devient un jour un personnage d’Hergé ? Ici les relations entre les éléments ne sont pas nommées comme c’est le cas en mathématiques. Les cosmographes, basés sur des données rencontrées, deviennent des outils de spéculation narrative : à la fois textes et images, outils de mise en intrigue. Le cosmographe constitue donc un support discursif, à la fois outil de notation, de relecture et support à une réécriture.

vendredi 17 juin 2011

Manuel du voyageur Impénitent n°2



Comme tout voyageur qui se respecte le voyageur impénitent envoie des cartes postales pour apporter la preuve de son séjour dans des contrées exotiques. Les habitants des Fougères, quartier du XXème arrondissement de Paris qui faut-il le rappeler est posé au-dessus du Périphérique à quelques centaines de mètres de l'espace Khiasma - mais de l'autre côté de la frontière - les habitants donc ont ainsi tous reçu une carte postale de cet illustre étranger. Ces cartes ; des bancs, des vêtements oubliés, des tas de sables, des fossés, des chantiers, un homme au sol, des grilles, un skate parc, ne sont pas autre chose qu'une collection d'images du quartier lui-même et l'invitation qu'elles colportent une exploration en bas de chez soi. Une invention du quotidien, dirait de Certeau. Une dérive dans les chantiers, un passage de la frontière en douce. Un devenir étranger du quartier. Traversé par des fictions actives, Le Manuel du voyageur impénitent est une invitation à de nouveaux usages de la ville, à un questionnement sur les marges étroites de l'invention sociale.
Rendez-vous donc le samedi 25 juin à 20h au Square Léon Frapié au coeur des Fougères à 20H pour l'épisode 2 et le samedi 2 juillet à l'Espace Khiasma pour la troisième ouverture (une conférence qui décortique la "fête obligatoire")

dimanche 12 juin 2011

Feuilleton d'un chantier 11



Le premier bûcheron se réveilla nu au sommet d'un arbre. Il était entouré de fourmis. Elles mordaient des feuilles en se tenant immobiles à la verticale. C'était un spectacle surprenant. Mais il ne pensa pas à leur disparition prochaine, il ne pensa pas à la main invisible qui les avait déposé là. Au poison qui les traversait peut-être. Il ne chercha pas à en savoir plus sur sa propre situation, l'endroit où ses habits avaient disparu, la force qui l'avait emporté jusqu'à la canopée.
Un vol d'étourneaux dessinait des visages dans le ciel. Il ne pensa pas au visage de sa mère. Il ne pensa pas au royaume de l'enfance, il ne pensa pas aux portraits des ancêtres, il ne pensa pas aux mythes indiens, il ne pensa pas aux aurores boréales où dansent les esprits des animaux.
Au loin la forêt lui semblait ridiculement petite. Pareil à une maquette. Il ne ressentait plus le trouble de la distance. Ni l'excitation de l'exploration.
Il apercevait la clairière grisâtre où il avait si longtemps travaillé et la forêt tout autour qui se déployait en un motif circulaire et répétitif. Il voyait distinctement qu'un cratère s'y était formé. Il voyait des montagnes aussi, un paysage alpin. Il pensa à la chute d'un objet stellaire. Il pensa à la subduction, à la rencontre des plaques, à la croûte terrestre glissant lentement sur l'asthénosphère. Il pensa à l'érosion, aux glissements de terrain. Il ne voulait pas penser à l'action de l'homme. Il ne voulait pas penser à l'autre bûcheron défonçant méthodiquement le sol. Il refusait de le voir progresser sous terre dans un tunnel d'évacuation rempli de ventilateurs. Mais cela relevait de l'évidence, c'est bien là que l'autre avait disparu.
Maintenant les étourneaux dessinaient dans le ciel des visages célèbres, des présidents américains, des milliardaires, des stars de cinéma, des leaders noirs assassinés, des otages au teint brumeux, des ayatollah. Il ressentait à quel point ils avaient été inutiles. Inutiles et lâches. Aveuglés par leur métier de bûcheron accompli chaque jour sans vouloir en savoir plus. À cautionner les massacres, à cautionner les viols, les mutilations, les frappes aveugles, à donner leur force vitale à une entreprise de destruction. Les étourneaux dessinaient dans le lointain des bannières magnifiques et inconnues, drapeaux où des têtes de squelettes souriaient au milieu de fruits exotiques et de femmes dans des postures obscènes. Hommes roulant des yeux en fumant des pipes d'os, géant Black-Face écrasant des buildings sous un ciel étoilé. Il savait qu'il devait descendre mais n'y parvenait pas. Il voyait la nuit venir de tout côté. Mais il resta là à fixer l'horizon où disparaissaient de derniers motifs fascinants qu'il fut incapable de nommer.

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Ce texte fait suite à l'exposition Où, quand, comment ?, œuvre créée in situ par Studio 21bis
à l'Espace Khiasma et présenté du 6 Mai au 11 juin 2011.
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dimanche 5 juin 2011

Alex Pou / suite de l'aventure



On avait entrevu à Khiasma le talent singulier d'Alex Pou avec la projection de son film Grand Capricorne dans le cadre de l'exposition Entropie à Khiasma en juin 2010. Ce film sera présent dans l'exposition Rituels qui ouvre demain, lundi 6 juin, à la Fondation Ricard.

Mais depuis un an, l'histoire de cette collaboration s'est poursuivi et Alex Pou sera l'un des artistes en résidence à Khiasma pour la saison 2011-2012 avec son projet Histoire de l'ombre (histoire de France) qui le verra notamment arpenter les limites de la Seine-Saint-Denis, Tremblay-en-France précisément, pour élaborer son prochain film.
À noter qu'un autre film, le Nouveau Nouveau Monde, fini cette année, sera présenté à Khiasma au début de l'année 2012 dans le cadre de l'exposition vidéo Les Nouveaux Mondes et les Anciens, deuxième partie attendue de la trilogie Entropie.

Comme les bonnes nouvelles ne viennent pas seules, Olivier Marboeuf a écrit L'invention invisible, un texte sur le travail de l'artiste à l'occasion de la projection de son film à la Fondation Ricard (à lire ici)

vendredi 20 mai 2011


Exposition "Image trouvée" de Sabine Massenet

RETRO / Les expositions de la saison "Manifeste pour des villes Invisibles"
1. Image trouvée de Sabine Massenet

Du 10 février au 24 Mars 2011 à l'Espace Khiasma


Tout commence par une simple carte où est portée l’inscription « Si vous trouvez cette image veuillez écrire à l’adresse suivante… » Ce n’est pas un jeu d’argent, ni un concours, plutôt une invitation. Sabine Massenet dépose ses messages énigmatiques comme d’autres jettent des bouteilles à la mer. Glissées au hasard des livres d’une dizaine de bibliothèques de Seine-Saint-Denis, ces petites cartes bizarres illustrées d’une image non moins étrange – dans un noir et blanc hitchcockien, on y voit des mains qui ouvrent un mystérieux message – sont le départ d’une aventure de longue haleine à la rencontre de lecteurs anonymes du Nord-Est parisien.


Pendant près de deux ans, Sabine Massenet a ainsi correspondu avec des hommes et des femmes de tout âge qui entretiennent chacun une relation particulière au livre. Que lisent-ils ? Pourquoi lisent-ils ? Où lisent-ils ? De l’enfance ressurgissent les premiers livres, les obsédants, les interdits et la lecture devient alors abri, révélation, colère ou fuite loin des contraintes de la vie matérielle et du temps qui passe. Certains ont accepté de rencontrer l’artiste, près d’une vingtaine d’être filmés.

Pour autant, Image Trouvée n’est pas un film documentaire, mais un objet hybride où Massenet met en scène l’espace d’une rencontre dans un somptueux agencement de plans qui glissent les uns dans les autres. Des « portraits avec livre » qui sont autant d’explorations de lieux cachés, loin des clichés qui collent à l’image du 93.


Vidéaste confirmée, Sabine Massenet ouvre avec cette installation aux projections multiples un nouveau chapitre de son travail, plus vaste, plus ample que jamais. Une collection de rencontres, d’objets et de mots qui inventent un art du récit impressionniste. Divisée en trois chapitres (contenant chacun six portraits), l’exposition offre autant de rendez-vous. Un feuilleton à la découverte de ce monde de lecture, qui passe de la gravité au rire, du béton aux vergers.

Exposition présentée en trois parties :
- à partir du 10 février :
Chapitre 1 (Saint-Denis – Noisy-le-Grand – Bobigny),
- à partir du 24 février
: Chapitre 2 (Aubervilliers (1/2) – Saint- Ouen – Montreuil -sous- Bois (1/2)),
- à partir du 10 mars
: Chapitre 3 (Aubervilliers (2/2) – Rosny-sous-bois – Montreuil -sous- Bois (2/2)

- Lire l'entretien de Sabine Massenet avec Olivier Marboeuf, commissaire de l'exposition

- Voir des photos de l'exposition ici et

Image trouvée est une installation produite par Khiasma dans le cadre de son programme «Manifeste pour des villes invisibles». Avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis (résidence arts visuels) et des bibliothèques du 93.

mardi 17 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 10



Ne vous laissez pas limiter par l'idée du Pays Basque. Ne vous focalisez pas sur la réintroduction d'espèces disparues. Ne pensez pas aux loups qui guettent les troupeaux. Ne pensez pas aux restes d'un mouton dans un alpage. Ne pensez pas aux ours. Cessez d'être fasciné par les aigles, par les chouettes immenses, par les bouquetins. Ne pensez plus aux créatures. Ne pensez plus le règne animal comme un empire industriel déposé dans le paysage. Ne vous limitez pas. N'imaginez pas un paysage de chalets couverts d'une poussière de graphite. Oubliez pour un instant les usines incrustées dans les crevasses, les fabriques troglodytes. Débarrassez-vous du sentiment d'autoroute, de la sensation de snack. Ne pensez plus à l'extraction, à la transformation. Chassez de votre esprit les lacets de la route, les semi-remorques, les 30 tonnes, les phares qui disparaissent, les lumières qui clignotent. Ne pensez pas non plus à Lavera, aux raffineries, aux cheminées qui crachent des flammes jour et nuit, à l'odeur de pétrole, au mouvement lent des tankers à l'horizon. Même s'il vous faut garder à l'esprit le sentiment de trouble de la distance. Et les grottes. Ne pensez plus en terme de fournaise, de feu, d'incendie, de canadaires, de collines chauves. Pensez à un monde sauvage. Pensez à un monde sauvage caché à l'intérieur, à la Préhistoire dissimulée dans une lisière, perdue dans un pli. Abandonnez l'idée de suspension hydraulique, de conduite assistée, de berline, l'idée de ceinture de sécurité, de verre modifié, d'écosystème climatisé. Oubliez l'idée de glisser sans jamais vous perdre. Oubliez le GPS, l'Airbag passager, le tableau de bord électronique. Vous êtes un chasseur, vous êtes sur une piste, vous levez les barrières, bravez les interdits, vous êtes au cœur d'un monde ancien.
Ne craignez pas le poison, les morsures, les substances inconnues. Ne craignez pas l'ivresse, les montées et les descentes. Ne craignez pas les herbes, ne craignez pas les feuilles, ne craignez pas les indiens qui titubent la bave aux lèvres juste avant de devenir des loups. Pensez au peyotl, aux bouquets de cactus gris qui recouvrent le sol. Pensez à la mescaline. Pensez à la canopée. Pensez à l’Ophiocordyceps unilateralis. Pensez aux fourmis-zombies qui grimpent jusqu'à la canopée. Vous y êtes. Ne perdez pas de temps avec les détails, le ciel rayé des trajectoires d'avions, les déflagrations au loin dans la montagne. Un vol d'étourneaux peut-être. Focalisez-vous sur la Préhistoire, les grottes, le sentiment de trouble de la distance et la canopée. Un monde sauvage est entré par votre bouche et se déplie maintenant.

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dimanche 15 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 9



Il avait ainsi marché pendant des heures, sans même se rappeler de son compagnon. Il le voyait mettre la main au-dessus du feu. Il le voyait sentir la chaleur. Il le voyait plisser les yeux. Il le voyait apercevoir au loin le scintillement d'une torche. Il le voyait suivre sa piste, renifler ses empreintes. Il le voyait scruter les motifs du chemin, légèrement déplacés par la pression d'un corps. Il le voyait imaginer la taille du marcheur, sa corpulence. Il le voyait passer la paume sur la surface du sol, tenter de sentir les pleins et les vides, les rythmes et les ruptures, les occurrences et les oublis. Il le voyait porter un doigt à sa bouche et par sa bouche faire remonter dans tout son corps une route possible. Il le voyait se muer en un chasseur. Il le voyait se transformer en animal et s'engager dans la forêt. Mais il avait renoncé, voyant la torche faiblir, voyant la forêt s'assombrir, voyant la route s'effondrer dans une faille, voyant les dépressions, voyant les éboulis, il était probablement redevenu lui-même et avait rebroussé chemin. Il ne pensa plus à ce compagnon perdu, il ne pensa plus à sa vie d'avant.

Il n'avait rien mangé depuis longtemps. Il mâchait les feuilles et les tiges d'une plante qui tapissait la chape. Cela ressemblait à un cactus grisâtre sans épine qui dessinait des cercles sur le sol. Il en avait remplit son sac. La fumée était devenue très épaisse. Il distinguait maintenant l'infinité de ses détails, les plus infimes replis, les cascades, les gorges, les trompe-l'oeil. Il passait sa main sur des bas-reliefs, des chiens, une chasse à courre, une scène du Moyen-âge avec des mendiants et des chevaliers, un calife sur un éléphant. Ses doigts s'enchevêtraient dans des motifs, il avait cru perdre un instant sa main, voir un moignon sanglant à la place. Il avait cru sentir chaque partie de son corps séparément. Il percevait maintenant chaque variation de l'espace, déplacement de masses d'air, froissement de la fumée. Bientôt il entendit distinctement un chant. C'était un air de son enfance chanté par sa grand-mère dans une langue disparue mais qu'il comprenait.

Il titubait. Le sol se gonflait et se dégonflait sous l'effet d'une respiration mécanique. Il marchait sur un tapis de cactus grisâtres qui soupiraient. Il pensait à une terre volcanique. Il percevait l'ensemble de la forêt, comme une carte entrée par sa bouche et répandue à l'intérieur de son corps. Il avait clairement la perception des bordures, des motifs, des chemins et des précipices. Il parvenait à pénétrer sans mal le corps des animaux, à sentir un monde immense et sombre, à sentir la matière en mouvement, les hormones, les hurlements et le sang. Il était dans chaque terrier, sur chaque branche, dans chaque lisière, dans chaque respiration.

Puis il s'assit et se sentit soudainement très triste. Il n'avait plus de cactus dans son sac. Entre ses orteils qui dépassaient de ses chaussures s'échappait un mince filet de fumée. Il ne sentait plus rien qu'une forêt vide et ridicule comme celle qu'il avait toujours connu avant de partir. Il entendait un bourdonnement, un bruit sourd et en lui se formait lentement une dernière image. Une vague d'eau grise. Une vague qui avançait lentement. Qui sortait du lit d'un fleuve. Qui grossissait. Qui doucement balayait les bateaux, les posaient sur les autoroutes. Et bientôt les voitures, les bus, les camions citernes, les entrepôts, les ponts. Et bientôt la ville entière transportée sans bruit dans un geste souple et liquide. Lorsque la vague fut enfin si grande qu'elle dominait la forêt, qu'elle posait son ombre sur toute chose, que les animaux s'y noyaient dans des tourbillons silencieux, il s'endormit.

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lundi 9 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 8




Il creusait maintenant depuis des heures. Il se tenait au fond d'un trou de plusieurs mètres de profondeur. N'avait ni faim, ni soif.
Il avait traversé nombre de matières inconnues de lui. Tantôt granuleuses, tantôt fluides, molles, bouillonnantes, cassantes, des torrents de billes synthétiques, des cristaux irréguliers, des coulées, des couches de sédiments, des cylindres de toutes les tailles. ll avait pensé chalcopyrite, micaschiste, granit rose, mais avait vu d'autres choses. Il avait imaginé silex, ardoise, grès, tourbe, basalte mais rien de ce qu'il voyait ne portait ce nom. Une odeur d'humus et de plastique fondu, de pétrole, une odeur d'animaux et d'oxydation, de gaz souterrain, de minerai, de charogne et de ciment. Une odeur de phosphore, de souffre, de polystyrène extrudé, de mousse et de putréfaction.

Il avait atteint une épaisse couche d'argile humide. S'y était plongé. On ne pouvait plus le reconnaître comme un bûcheron. Il n'était plus qu'une masse de glaise qui s'agite, une créature vaguement humaine poussant cris et grognements étouffés. Cela dura de nouveau un long moment et il crut qu'il n'arriverait pas à traverser cette terrible masse. Son esprit s'en allait. Il imaginait des mains qui pétrissaient la glaise et formaient un à un des petits hommes de terre. Bientôt, il y aurait des couples, des villages avec des toits de paille, le fumet d'un gibier jeté dans le feu, des dessins, des outils et très vite une armée avec des hommes montés sur des chars, tirés par des tigres, et des pierres empilées, des dieux et des charniers, autoroutes, buildings, créatures indistinctes posées dans la périphérie, émeutes, hélicoptères, projecteurs, charniers, renouveau, arche, déluge, tsunami, marée de boue informe, glaise redevenue glaise, tourbillon, tornades figées dans le ciel avec incrustations de mobile-homes, pavillons, souvenirs, voitures et chiens.

Quand sa pioche frappa de nouveau un objet solide, il revint à lui. Il chercha à tâtons, toucha au sol quelque chose de froid. Il regarda au-dessus de lui. Il s'était enfoncé de plusieurs mètres. La fumée avait envahit la forêt et entrait maintenant mollement dans la cavité qu'il avait creusé. Il ne distinguait pas le ciel, ne distinguait plus aucune forme familière. Avec le bout de sa chaussure, il découvrit les croisillons d'une grille qu'il souleva à l'aide de sa pioche. Un air frais entra par la base du trou et la fumée disparu bientôt dans les profondeurs. Il était prêt à s'engager lui aussi dans le tunnel quand il pensa soudain à la surface. Pas à l'autre bûcheron qui était parti dans la forêt ancienne, pas à sa lente progression, pas à la sensation d'un sol incertain sous sa voûte plantaire, pas aux cris d'animaux jadis domestiques, pas à la sensation de trouble de la distance, pas à la brume. Il pensait simplement à ce qu'il avait fabriqué sans le savoir en extrayant tous ces alliages inconnus, ces tonnes de matière qui maintenant s'entassaient à la surface. Il pensa qu'il avait créé une montagne, une montagne d'un genre nouveau.

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dimanche 8 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 7


© Matthieu Gauchet

Imaginez une montagne au loin. Imaginez une falaise. Imaginez le trouble de la distance. Pour imaginer une montagne, rappelez-vous qu'il est nécessaire de ressentir le trouble de la distance. Peut-être qu'il vous faudra de la brume. Imaginez une masse obscure, la masse obscure et l'infinité des détails. Et la brume par-dessus. La masse et les détails sont indissociables. Garder en tête qu'on ne peut penser les choses séparément, que les sensations se concentrent en un seul point, en un seul moment. Vous avez peut-être déjà oublié la Préhistoire. Ce n'est pas grave. Elle reviendra d'elle-même le moment venu.
Imaginez maintenant la montagne et le trouble, la falaise et le trouble, le cratère, l'aven, la concrétion, la sédimentation, la faille et le trouble. Imaginez une masse immobile peut-être depuis plusieurs millions d'années, immobile mais en mouvement imperceptible. Imaginez maintenant des montagnes ouvragées par la main de l'homme. Pas un sentier, pas un chemin, pas une allée, pas une promenade de douaniers, pas un marquage sur les arbres, pas un point de vue, pas un tunnel, les montagnes elles-mêmes. Les montagnes gigantesques, les montagnes en silhouette et le trouble de la distance qui va avec. Le trouble et les montagnes tout entières sorties de terre. Imaginez cela mais sans tremblement de terre. Il ne faut pas penser tremblement de terre maintenant. Il faut penser à l'ouvrage, à la main de l'homme, au pouce inversé, à cette terrible histoire de pouce inversé qui a séparé l'homme du reste, qui a fait des créatures particulières, des outils particuliers et maintenant des montagnes particulières. Gardez en tête ce moment précis de la Préhistoire, qui fait sortir de la nuit cette masse trouble sans sentier, ni parking, sans GPS, sans bulldozer, sans usine éclairée de nuit par des projecteurs. Imaginez les phares des voitures dans le ciel, imaginez une masse sombre devant vous où glissent des lumières. Vous pouvez penser au Pays Basque. Si cela vous aide à voir avec plus de précision, vous pouvez penser à une frontière dans la montagne. Vous pouvez penser à un voyage de nuit vers le Portugal et à la traversée du Pays Basque, à des chemins qui découpent les montagnes, à des carrières et à la nuit par-dessus et à la brume par-dessus et au trouble de la distance et aux phares aussi. Vous pouvez penser "des phares pareils à des insectes perdus dans la nuit". Vous pouvez penser ainsi mais ça n'est pas obligatoire. Cela dépend de votre expérience personnelle. Certains penseront métal en fusion, d'autres, roches en bloc régulier, craie, poussière, odeur de fumée, étincelles, crasse, certains penseront Gustave Eiffel, Alstöm, certains penseront visages noirs d'un autre temps, et d'autres, probablement les plus nombreux ne penseront qu'à la route qui irrémédiablement trace une ligne dans la nuit sans jamais faiblir, sans jamais renoncer à franchir les lisières du sommeil.

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mercredi 4 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 6



Quand il est arrivé, il a tout de suite senti la fumée. Il a tendu sa paume au-dessus du feu pour en mesurer la chaleur. Il est resté longtemps ainsi. L'absence de l'autre bûcheron ne l'inquiétait pas. Il l'avait vu chaque jour pendant de longues années. Il avait partagé en silence avec lui le travail de bûcheron. Il avait partagé en silence les moments contemplatifs, les moments d'extase devant ce paysage toujours nouveau, les moments d'inquiétude, les petits incidents, la peur revenue de l'enfance, le sentiment de Préhistoire, l'envie de cataclysme, le désir de fin du monde.
Mais il avait gardé en lui beaucoup de désirs secrets aussi.
Il était venu avec une pioche. Ce jour-là et c'était la première fois il était venu avec une pioche. Il ne se l'expliquait pas. Lorsqu'il sentit la fumée, il se rappela qu'il avait cette pioche dans son sac. Alors il ne brancha pas la machine. Alors il laissa l'atelier de bûcheron ainsi sans allumer de lumière, sans contrôler, sans mettre ses gants, sa combinaison, ses lunettes. Il se sentait un peu nu sans tout ce pétrole sur le dos. Mais cela ne le dérangeait pas. Comme l'absence de l'autre bûcheron dont il apercevait au loin le scintillement de la torche. Il se plaça au centre de la clairière et commença à démonter le sol. Il l'avait toujours vu ainsi comme une évidence. Et aujourd'hui il le démontait. Il avait le sentiment diffus de mettre fin à une illusion. Et à la fois, il ne savait pas si lui même n'allait pas fabriquer de nouveau un phénomène naturel. Comme la forêt. Naturel et ouvragé de mains d'homme. Très vite il arriva à la chape et entrepris de la casser. Il lui faudrait une masse et probablement d'autres outils. Mais il n'avait pas le temps de retourner en ville. Il ne savait pas quelle heure il était, mais dans son esprit il serait de retour à la fin de la journée. C'est ce qu'il pensait.

Feuilleton d'un chantier 5



Il a entendu une musique. Parce qu'il est venu plus tôt aujourd'hui, il a entendu une musique. Il pense que c'est pour cette raison. Il a allumé une torche. Il a laissé derrière lui la machine et tous ses outils de bûcheron. S'il se retournait, il verrait sans doute toute sa vie de bûcheron posée sur le sol. Mais ce qui l'intéresse c'est d'aller vers la musique. C'est tout ce qui l'intéresse. Il n'a sur lui qu'un maigre sac. Il a son déjeuner et un couteau. Il pense qu'il sera revenu ce soir ou qu'il trouvera un ville ou qu'il apprendra à se nourrir de racines, à faire des pièges, à manger des serpents, des singes.
Il ne l'a jamais fait. Mais il compte sur son instinct. Il se dit qu'il est un produit de son environnement, que les choses se feront naturellement. Il avance dans la forêt épaisse, ancienne dont il imagine qu'aucun bûcheron n'a jamais foulé le sol. Ou alors à la Préhistoire. Il ne peut s'empêcher de penser à la Préhistoire même s'il n'entends aucun autre son que le léger sifflement d'une machine à fumée. Et peut-être aussi le bourdonnement des lignes électriques. Il progresse dans des gorges maintenant. Il ne compte pas ses efforts. Il n'est jamais allé aussi loin. Tout lui paraît familier mais assemblé d'une manière nouvelle. Et ainsi tout lui paraît sauvage. Sauvage et familier.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

Nous vous attendons le jeudi 5 Mai à partir de 18h30 pour le vernissage de cette suprenante nouvelle œuvre du duo Studio 21bis > réserver
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Où, quand, comment ?
Oeuvre in situ du Studio 21bis
du 6 Mai au 11 juin à l'Espace Khiasma
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mardi 3 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 4



Parfois l'un pense arrêter d'être bûcheron. Il pense à allumer une torche et à s'enfoncer dans la forêt. Il pense à la fin de sa vie de bûcheron. Il se demande à quoi ressemblerait la vie d'explorateur. L'autre pense la même chose. Mais ne le dit pas. Il pense aux profondeurs. Il pense qu'il faudrait chercher dans les profondeurs. Il pense qu'il faudrait démasquer un simulacre. Mais aussi quand il pense aux profondeurs, il pense au coelacanthe. Il pense à un poisson préhistorique. Il pense aux vertébrés sarcoptérygiens. Il pense à un animal caché qui a traversé le temps. Il pense aux temps anciens. Aux temps anciens, aux légendes et aussi aux simulacres. Il imagine des câbles électriques, des fibres optiques, des pipelines, des pistons hydrauliques, des télécommandes. Il pense à une température régulée, à un taux d'hygrométrie régulé, à des machines à fumée et à la fois il pense à la flore des profondeurs et à ce que mange un coelacanthe et aussi au temps dans l'esprit du coelacanthe, à la manière dont se déroule le temps dans l'obscurité d'un fleuve. Parfois il reste accroupi dans une clairière. Il ramasse quelque chose en même temps qu'il regarde son compagnon, lui aussi presque immobile, débout, à contempler le travail accompli. Il pense peut-être à une falaise accidentée. Il pense peut-être à la vie d'un explorateur qui mesure une île avec son corps, en marchant. Ne pense pas comme son compagnon aux problèmes d'échelle, à l'industrie du rêve. À la post-synchronisation. Ne pense pas aux trucages, aux images de synthèse. Pense entièrement avec son corps, pense avec la matière de l'ombre, la matière du climat, la matière de l'espace.
Il a prit une décision. Demain il allumera une torche.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

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lundi 2 mai 2011

Assemblée générale de Khiasma Vendredi 13 Mai


Cher(e)s Ami(e)s,

Nous sommes heureux de vous inviter à la prochaine assemblée générale de Khiasma qui aura lieu le 13 mai à 19h.
Un moment privilégié et indispensable pour faire avec vous le bilan de l'année, voter le rapport moral et financier de Khiasma, évoquer ensemble les perspectives que nous dessinons pour le lieu et élire notre prochain conseil d’administration.

Khiasma est une fabrique où s'expérimentent depuis 10 ans des formes artistiques à la croisée des arts visuels, des arts plastiques, de la littérature contemporaine et de la performance.
C'est aussi un lieu de parole, de débat, porté par une initiative citoyenne indépendante.
L'année 2010 a été une année de fort développement pour l'Espace Khiasma avec un accueil public enthousiaste et un plaisir à se retrouver qui ne se dément pas. Avec également de nombreux projets produits et artistes accueillis en résidence.

Pour 2011 et malgré un contexte économique de plus en plus fragile, l'Espace Khiasma tient à préserver sa singularité et la gratuité d'accès à sa programmation. Notre niveau d'exigence et d'engagement pour ce lieu ne faiblit pas et nous serions heureux de pouvoir partager avec vous les projets en cours.
Pour nous aider à poursuivre et à tenir cette ligne, votre présence et votre implication dans la réflexion est aussi importante pour nous que votre prochaine adhésion.

Nous vous invitons donc à être présent à nos côtés le 13 mai à 19h à l'Espace Khiasma pour parler autant de l'inscription local de ce lieu précieux que de ses perspectives de rayonnement.
Nous espérons partager avec vous autour d'un verre nos idées, écouter les vôtres.

Nous vous attendons nombreux !
L'équipe de Khiasma.

dimanche 1 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 3



Mais aussi ils s'arrêtent de travailler. Parfois subitement mais souvent à une heure précise. Ils n'ont pas besoin de se parler. Ils ne se parlent pas. Ils le sentent dans leurs muscles. Ou alors c'est que la machine est cassée. Dans ce cas, l'un d'entre eux l'attache en silence à l'arrière d'une moto et roule vers la ville la plus proche. Et revient bientôt avec une machine neuve.
Le soir, chacun rentre chez soi sans dire un mot. Ils partent parfois sur une moto. Ils partent parfois l'air pensif. L'un a peut-être aperçu un animal, l'autre a senti une odeur de fumée. Des signes de vie. Ils n'en parlent jamais. Ils se tiennent à l'idée de bûcherons silencieux.
Et s'ils n'étaient pas seuls ? Si la nuit des animaux mystérieux venaient se rouler en boule dans leurs vêtements fabriqués avec du pétrole. Si la nuit, d'autres bûcherons s'appliquaient comme eux à étendre une forêt, à dévoiler des massifs, à faire apparaître des mangroves.
Alors ils regardent toujours en arrivant si tout est en place, si la machine a refroidi. L'un cherche des traces sans le dire. L'autre aussi. Pensez à des chasseurs préhistoriques, pensez à des chasseurs qui poursuivent un bête dont ils ignorent la taille. Pensez à une grotte car il y a toujours des grottes à la Préhistoire, des grottes souterraines et des bêtes aux narines fumantes. Pensez à de la fumée, à tous les dessins que peut faire une fumée en se tordant. Pensez à la grotte, à la forêt et à la fumée. Vous voilà prêt à fabriquer un marécage.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

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jeudi 28 avril 2011

Feuilleton d'un chantier 2


Mais au milieu de la forêt, il y a des hommes. Ce ne sont pas des hommes préhistoriques. Au milieu de la forêt, il y a des hommes.
Ce sont des bûcherons.
Pas besoin qu'ils aient des haches. Une scie circulaire suffit. Avec cela, on peut déjà faire de bons bûcherons. Ils sont au nombre de deux. Ils ne portent pas de peaux de bêtes. Gardez en mémoire la Préhistoire mais débarrassez-vous de l'idée des peaux de bêtes, des silex, des bottes en fourrure. Ils portent des cagoules, des lunettes, des casques et des vêtements synthétiques fabriqués avec du pétrole.
Ils ont eux aussi allumé un feu. Le feu est éteint maintenant mais ça ne les empêche pas d'être fraternels, d'être une communauté. Même à deux bûcherons, ils sont une communauté de bûcherons. Une communauté consciente de sa fragilité bien sûr. Au premier accident, ils savent qu'ils ne seront plus qu'un bûcheron et qu'ils ne pourront plus accomplir leur tâche, ni faire du feu, ni porter tout ce pétrole sur eux avec un air d'insouciance. Ni être une communauté fragile. Ils seront comme vous, seuls dans une forêt.
Alors ils agissent avec prudence. Et ils agissent aussi avec méthode.
Ce ne sont pas des bûcherons comme les autres. Ils ne déciment pas la forêt. Au contraire. Plus ils travaillent, plus la forêt s'étend. Chaque jour, ils étendent un peu plus la forêt qui devient d'ailleurs un forêt plus complexe, plus sombre et plus ancienne. Ainsi passent les jours et ils ne voient pas l'inquiétude qu'ils bâtissent de leurs mains. Ils ne voient rien de mal à étendre plutôt qu'à décimer.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
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Feuilleton d'un chantier 1



« Imaginez que vous traversiez une forêt. Imaginez une forêt très ancienne. Imaginez une forêt domestique. Imaginez une forêt familière. Une forêt étrange. Une forêt à la Blanche-Neige. Imaginez une forêt à la peinture à l'huile. Comme c'est la nuit, vous faites un feu.
Vous imaginez la Préhistoire. Imaginez la Préhistoire mais pas les hommes préhistoriques, pas les mammouths, pas les tigres. Ne gardez que l'idée de la grotte. Essayez de garder l'image de la grotte comme seule image. Alors seulement vous pouvez allumer un feu. Avec des produits chimiques, mais sans jamais perdre un instant l'idée de la grotte et de la Préhistoire. Imaginez les profondeurs de la forêt. Imaginez un monde domestiqué, synthétique, fabriqué, mais à la fois sauvage et primitif. Imaginez un monde de l'enfance, mais en gardant à l'esprit la Préhistoire, les profondeurs sans animaux, et surtout l'image de la grotte et les ombres dessinées par le feu. Ne vous attardez pas sur les détails. Ne pensez pas à la faune, à la flore. Juste à la nuit et à l'odeur de fumée. Imaginez un accident dans la forêt. Imaginez des pierres énormes qui tombent du ciel et traversent les branches sans bruit. C'est important de l'imaginer sans bruit. Le son sera post-synchronisé plus tard. Tenez-vous à l'essentiel, juste une scène avec des odeurs et des ombres sur les parois. Et vous autour d'un feu familier, calme et rêveur sous un ciel étoilé.
Imaginez maintenant un météore. Imaginez une usine, une zone industrielle, des camions citernes, des voitures sur les toits des maisons. Imaginez un feu dans toute la forêt et jusqu'aux profondeurs. Imaginez que vous traversiez une forêt préhistorique, confortable et dévastée, qui n'a plus de profondeurs cachées, où les sons ont disparu, où il n'y a plus de traces, plus d'animaux, plus de chasseurs. Comme c'est la nuit, vous faites un feu.»

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
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lundi 25 avril 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING 8


Tirage du 25 avril 2011

PAS DE RAMBARDE PAS DE POIGNÉES est la carte que je pose au centre. Qui colle au corps du bâtiment. À la limite. Pas à l'intérieur. On ne s'engouffre pas. On reste dehors. Quoi que tu voies ça ne se laisse pas prendre. Parce que c'est donné. C'est une distribution. Tu vois. L'appuis n'est pas au centre. La trajectoire s'obstine à le contourner. Traîne les savates. Évite le centre d'un écart. Du pied droit. En descendant dans une diagonale vers le sud-est je pose une deuxième carte. Pour la parité. Pour le contenu. Je reconnais son parfum lors de la mise en bouche. Prince à la vanille. Dans son emballage mi-bleu mi-blanc. Nous avons déjà rencontré LE ROI DE MA GUEULE. Et ses petits cheveux. Le belles mains sales du poète. Dans les rimes. Cette carte a des très gros doigts. Pour tirer les langues de son côté. Un goût redoutable. C'est une couronne à cheval sur nos molaires. Inoubliable. Pour gagner une dent cariée nous en perdons deux. Épousons-le. C'est un mariage dont nous ne faisons que parler. Justement. Sans réception à organiser. Sans faire-part juxtaposant ton nom au mien ou inversement. Lorsque LE ROI DE MA GUEULE se trouve au sud-est il est notre conscience debout. En très grande forme. La mâchoire musclée. Genre pitbull. Notre conscience. Elle peut nous secouer dans la nuit. Nous empêcher de dormir. Certes. LE ROI DE MA GUEULE ne touche jamais aux jambes. C'est trop bas. Pour lui. Il ne se penche pas. Nos pieds n'existent plus. Alors peu importe les chaussures. Les orteils courts. Les orteils ratés. Gardons les baskets. Ainsi cela ira confortablement. Au nord de PAS DE RAMBARDE PAS DE POIGNÉES je pose ROBINETS. Cette carte est une destination. Si nous partons. Ne serait-ce que deux jours. Je ne sais pas. Au grand air. Genre Marguerite Duras. Les ROBINETS ouverts sur une trajectoire. Pour nettoyer le foie la sève de bouleau est excellente. La cure. Dix jours de soustractions. Pourquoi pas. De claques verbales. Au téléphone. Ce n'est pas possible. Au sud nous disposons d'une carte pour les outils. PLUSIEURS PORTES. Enfin une carte avec des poignées. Tout un déploiement de possibilités. Pour toi. Les portes stockées dans ton disque dur. À l'ouest je pose LE MURET. C'est une petite limite à chevaucher. Sur laquelle tu peux collecter des cailloux. Des herbes. Goûter au tendre pignon de pin. Écrire ton nom à la craie. C'est un appuis. La carte posée à l'est indique ce qu'il faut rechercher. LE BATEAU DU NOUS. Notre amitié. Je n'ai rien à ajouter. Au sud-ouest la dernière carte embrasse ce tirage. GENRE MARGUERITE DURAS. Barbara Manzetti