samedi 10 novembre 2012

Orectognosie - extraits du dialogue de Simon Quéheillard avec Gilles Tiberghien / part 2



Ainsi, plus loin encore que les forces sur lesquelles insistaient Simon Quéheillard, forces qui traversent le Land Art et qui ont en sont dans une certaine mesure aussi leur sujet, l'écriture elle-même s'ajoute à ce lot de forces, et se mêle aux mouvements entropiques et historiques qui fascinaient tant Robert Smithson. D'ores et déjà car c'est dans le contexte d'une réédition séparée de la première par vingt années, d'ajouts, de précisions, de rectifications que Gilles Tiberghien est intervenu à l'Espace Khiasma. Vingt années qui ont vu ce "bouquin de cailloux" prendre une ampleur insoupçonnée. Comme obéissant au kairos grec, moment opportun, évoqué par Tiberghien, si cher à Quéheillard, que l'on pourrait se représenter comme l'épaisseur du temps, ou sa profondeur, et qui le fait basculer dans un sens décisif - et qui ne va pas sans une certaine metis, intelligence ou ruse.


"L'expérience de l'écriture" par Gilles Tiberghien - Part 1 / Espace Khiasma - 24/10/2012 from hugo masson on Vimeo.

Simon Quéheillard : "Une fois qu'on a écrit, il est difficile de parler de ce qui est écrit. On écrit pour pallier la mémoire, qui est volatile. L'écriture entre en conflit avec la parole". C'est la metis de l'écriture que de déjouer le piège de la parole, et son kairos de pallier la mémoire, lui donner sa profondeur. Metis déjoue, kairos détourne, et fait dériver. C'est cette profondeur qui se retrouve dans cette drôle de pratique initiée par Emmanuel Hocquard et Olivier Cadiot, qui consiste à recopier une phrase d'un écrivain, et la lui envoyer. Un jeu avec la volatilité de la mémoire, un détournement du vol de la mémoire, un vol à la mémoire par l'écriture - c'est ce jeu qui constitue tout l'intérêt d'envoyer ses propres mots à un écrivain, lui revenant non plus comme ses mots, mais comme des mots, comme des doubles, ou comme des négatifs - ou des double negative. Le jeu est un jeu avec le centre. L'orectognosie nous apprenait qu'on n'occupe jamais le centre. Et ce décentrement, c'est l'espace de l'écriture.


"L'expérience de l'écriture" par Gilles Tiberghien - Part 2 / Espace Khiasma - 24/10/2012 from hugo masson on Vimeo.

Gilles Tiberghien rapporte que le pédiatre de Robert Smithson, c'était William Carlos Williams. Ce qui peut expliquer son lien avec la Beat Generation. Mais il nous semble tout à fait opportun - kairotique - de nous demander alors : Qu'est-ce que fait un pédiatre ? Qu'est-ce qui distingue la pratique d'un pédiatre-Williams, médecin de l'enfant-Smithson ? L'enjeu est de contourner l'anxiété de l'enfant, de le détourner de l'anxiété de la possible douleur du soin.
Un pédiatre détourne l'attention - il demande à l'enfant de chanter, ou de parler de ses centres d'intérêt. Ses centres. Double Negative. Le centre, on n'y est jamais. Et si tout résidait dans l'intérêt, que l'on donne comme centré. Détourner l'attention, ce serait précisément, décentrer, faire qu'on aperçoive que l'on n'est pas au centre, qu'on ne peut pas y être. Détourner l'attention. Pour l'amener ailleurs ? Et pour l'écarter de quoi ? l'écarter de l'écriture ? Ou l'y ramener ? Et si c'était la même chose ?
Smithson a écrit. Dans une revue intitulée "0 to 9". De zéro à neuf ? Zéro à neuf, comme dans it happens to me, zéro arrive à neuf ? Il arrive à neuf d'être zéro ? de zéro à neuf, comme les mois de la vie intra-utérine ? L'écriture comme la gestation des oeuvres de Land Art ? Comme la gestation des cailloux ? Comme décentrement, ou bien comme gestation du décentrement ? Et comment comprendre le geste de la gestation, si ce n'est pas un décentrement ? Peut-être comme le geste de tracer - Gilles Tiberghien : "Les images des oeuvres sont comme des traces, des indicateurs qui invitent à aller voir ce qu'elles sont, à en faire l'expérience directement"
En 20 ans, le livre de Tiberghien a été précisé, augmenté, et ces ajouts, qui ont traits à l'évolution du Land-Art, ainsi qu'au travail d'artistes proches de ce mouvement, sans en faire historiquement voire conceptuellement partie, Tiberghien leur consacre un chapitre de son livre qu'il intitule "hors-champ". Et qu'est-ce qu'un hors-champ lorsqu'on parle de Land-Art, sinon un hors-livre, comme si l'écriture réclamait de se perpétuer au-delà de ce que le livre posait comme son sujet. Comme si l'écriture agissait telle une force, une injonction à la fois digressive et inclusive, pour faire entrer dans le livre, toujours plus, une matière qu'elle ne se contente plus d'impliquer. A la fois écarter du livre, à la fois y ramener. Et ce faisant laissant le livre constamment ouvert.

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