jeudi 24 mai 2012

Nouveaux Mondes 1 : Le troisième camps



Image de l'Interzone, espace documentaire de l'exposition Un territoire sans carte (© Matthieu Gauchet)

À partir d'aujourd'hui, je consigne ici quelques notes de travail autour de l'exposition Les Nouveaux Mondes et les Anciens qui se déroule tout le printemps à Khiasma et dont j'assure une partie du commissariat. Une partie seulement puisqu'il s'agit d'aborder ici l'exposition non plus comme la concrétisation d'un discours mais bien comme son espace de formation. Dit autrement, penser l'exposition comme un outil et un lieu de recherche sans cesse réindexé par de nouveaux apports, de nouvelles pistes/prises, de nouveaux événements – formels, comme les cartes blanches du festival Relectures ou informels comme des discussions, des débats, des lectures ou des collisions de significations aussi inattendues qu'heureuses. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'il est possible de lire l'Interzone, l'espace documentaire qui occupe le dernier mouvement de l'exposition, la repliant sur elle-même tout en en exposant la méthode – méthode qu'on aurait tort de considérer trop vite comme la simple bibliographie d'une thèse et qui a probablement plus à voir avec un jeu d'associations libres, une fabulation. Dégager par conséquent l'exposition d'une certaine autorité – là où d'autres proposent de défaire le colonialisme(1) - quand bien même l'époque réclame des prises de position tranchées et un ordre de bataille précis – et en corollaire des discours autoritaires et des leaders charismatiques. Comme j'essayerais de le montrer tout au long de ces notes, la prise de distance avec une certaine polarisation du débat autour de la question coloniale ne signifie pas pour autant le refus de prendre position mais peut-être plutôt la recherche d'un lieu nouveau – un nouveau monde ?- un nouveau théâtre des opérations qui relève probablement plus du dessin mouvant d'un marécage que d'une ligne de front. La déprise de la pensée coloniale nécessite d'interroger un ensemble de postulats, de référents et d'objets formés, au premier rang desquels la conviction que nous savons qui parle, que l'identité du narrateur est définie et stable et formellement détachée de l'envoûtement que produit son récit. 



Scène de la performance Deuxième Vie d'Olivier Marboeuf / Relectures XIII à l'Espace Khiasma (© Matthieu Gauchet)


Voici un extrait de la quatrième de couverture du Dictionnaire des dominations (2), ouvrage récent réalisé par le Collectif Manouchian : « Tant que subsiste la domination, il n’existe pas de tierce position qui ne se situe soit du côté des dominants, soit du côté des dominés. Les luttes sociales se menant également dans la sphère des idées, chacun est inévitablement sommé de choisir son camp ; ainsi, le fait de refuser de choisir un camp, ou de se prétendre extérieur aux batailles en cours est en soi un positionnement, un choix. »
Si mon propos n'est évidemment pas de me situer à l'extérieur des batailles en cours - même s'il faudrait prendre la peine de les nommer et de les localiser – c'est dans l'aporie de cette injonction que je voudrais placer une partie de mon propos pour examiner comment les épisodes coloniaux fabriquent de nouvelles identités qui obligent probablement à repenser certaines questions pour en dépasser justement l'empire / l'emprise, le poison et pour redessiner un espace et des stratégies inédites pour les luttes sociales. Si l'idée de l'exposition comme processus prend tout son sens ici, c'est qu'il est nécessaire, pour aborder la question coloniale au présent, d'élaborer de nouveaux véhicules d'exploration – comme dans le mouvement colonial il a toujours été nécessaire de le faire afin de fouler des territoires toujours plus accidentés et inconnus. La modernité est marquée par ce règne des machines mises au service des conquêtes. La conquête comme prise - prédation- autant que comme dévoilement, mise à l'index de ce/ceux qui résiste(nt) à l'assignation – et, comme j'en parlerais dans d'autres notes, à la (re)nomination. 

Till l'Espiègle, figure légendaire du fripon (trickster)

J'introduirais plus loin à dessein le fabulateur, celui qui cherche - son histoire - en racontant des histoires, figure résiduelle, héritage du trouble de l'histoire coloniale mais aussi identité qui tente de (se) libérer du joug de la pensée rationnelle. Ce trickster qui n'a de place dans aucun des camps, qui fabrique ses propres magies – et en cela est proprement anti-capitaliste –, qui ennuit par sa présence et par son verbe : celui qui force à penser ce qui semblait à jamais décidé, qui défait la communauté autant qu'il soude les opposés par sa singularité moqueuse. Voir cette figure marginale et ses variations – de l'enfant terrible au métis monstrueux en passant par la sorcière - resurgir aujourd'hui au sein de plusieurs expositions n'est peut-être pas un hasard (3).


  1. Titre d'un dossier du dernier numéro de la revue Mouvement auquel j'ai contribué avec le texte « la possession de Vaneste » 
  2. Dictionnaire des dominations, Collectif Manouchian (Saïd Bouamama, Jessy Cormont, Yvon Fotia...), 2012, Editions Syllepse : www.syllepse.net
  1. Des Maîtres du désordre au quai Branly à Intense Proximité, la Triennale d'Art contemporain du Palais de Tokyo en passant par le cycle d'exposition Plus ou moins sorcières à la Maison Populaire de Montreuil pour ne citer que les plus récentes.

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