dimanche 27 mai 2012

Côté Court 1


































Cette année, Côté Court (www.cotecourt.org), le festival du court-métrage organisé par le Ciné 104 à Pantin du 6 au 16 juin 2012, propose un focus sur le vidéaste Jean-Claude Taki. Grâce notamment au succès de son film Sotchi 255, son travail qui navigue entre vidéo art et documentaire intimiste commence lentement à trouve la reconnaissance qu'il mérite. À cette occasion, le festival m'a commandé pour le catalogue un court texte sur « ce type qui fait des films avec un téléphone portable » (mais pas que). Le voici en primeur.

 « L'île des Morts »
à propos du cinéma de Jean-Claude Taki.
Par Olivier Marboeuf

Le cinéma de Jean-Claude Taki est un cinéma de recherche. En disant cela, il ne s'agit pas tant de le classer dans un registre mais bien d'en dire l'intention : partir à la recherche d'une image disparue. Et cette image disparue n'est jamais autre chose qu'un horizon. Car la question n'est pas de la trouver mais bien de suivre sa piste, de parcourir un chemin, de faire un voyage, une expérience. Les films de Taki s'ouvrent ainsi souvent sur le prétexte d'une enquête. Comme un lièvre dans une course de fond, l'enquête ne sert jamais qu'à imprimer le rythme, le pas du récit. On comprend vite qu'elle va bientôt quitter la piste et laisser le film – et l'artiste - continuer seul. C'est un exil. Le film n'a pas besoin de l'illusion d'une fin, il n'a pas besoin d'aller quelque part. Si ce n'est ramer vers l'Île des Morts comme d'autres autrefois traversaient un pont à la rencontre des fantômes. Programme définitif d'un cinéma d'un autre temps. Si Taki cherche sans relâche la trace d'un spectre c'est probablement celui de ce cinéma qui permet de voir par l'absence laissée entre les images, de penser par la disparition.

Pour raconter autrement cet univers, on pourrait s'attarder alors sur le téléphone portable qu'il utilise pour filmer dans plusieurs de ses œuvres. Il ne s'agit pourtant pas d'aller chercher ici une quelconque nouveauté ou même encore une signature mais simplement de mettre à jour la manière dont le cinéaste amplifie des lignes de force déjà anciennes dans son travail. Ce geste d'une radicalité simple dit d'abord ce que l'artiste met à distance : le cinéma comme produit collectif, comme fabrique, comme industrie avec ses postures, sa planification, son organisation et ses normes sociales. À ce « théâtre », il oppose un cinéma de la nécessité. On pense forcément à Godard et à ses croisières de reclus, à ces tournages qui n'ont plus que la solitude comme décor et la beauté d'un ultime combat sans armée. Taki choisit lui aussi le voyage en solitaire et inscrit comme son aîné son art sous le signe de la relation incestueuse qu'entretient le cinéma avec la littérature.
Il part à la recherche de son double, marche sur ses propres traces, piste toujours plus vers l'Est son fantôme, figure incertaine de l'écrivain qui remplit un journal parsemé de trous.
Le téléphone portable lui offre ses images pleines de doute, plus petites que le monde et pas plus sûres que des songes, débarrassées de la charge des grands récits, du projet de l'illusion cinématographique.
Par petites touches, Taki construit cependant un monde. Lentement, ce jeu d'images intimes qui caressent la peau, les ivresses et les tragédies de destins singuliers, ces histoires que rien ne semblent relier, laissent place à une vue d'ensemble, et l'on aperçoit le vaste paysage de la disparition que trame l'artiste film après film.

Comme un écho aux indices parcellaires - journaux énigmatiques, récits - que laissent les disparus dans ses films, le cinéma de Jean-Claude Taki est rempli de ces espaces vacants qui sont aussi des espaces d'attente – et peut-être la condition d'une mémoire retrouvée. On le sait maintenant, le mystère ne se résout pas, il se pratique, inlassablement. L'image disparue ne sera donc jamais trouvée car elle n'est elle-même qu'un espace de projection. Et la beauté de ce cinéma se résume ainsi dans la tentative à jamais reconduite de donner corps à cette absence.




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