Cette année, Côté Court (www.cotecourt.org), le festival du court-métrage organisé par le Ciné 104 à Pantin du 6 au 16 juin 2012, propose un focus sur le vidéaste Jean-Claude Taki. Grâce notamment au succès de son film Sotchi 255, son travail qui navigue entre vidéo art et documentaire intimiste commence lentement à trouve la reconnaissance qu'il mérite. À cette occasion, le festival m'a commandé pour le catalogue un court texte sur « ce type qui fait des films avec un téléphone portable » (mais pas que). Le voici en primeur.
à propos du cinéma de Jean-Claude
Taki.
Par Olivier Marboeuf
Le cinéma de Jean-Claude Taki est un
cinéma de recherche. En disant cela, il ne s'agit pas tant de le
classer dans un registre mais bien d'en dire l'intention : partir à
la recherche d'une image disparue. Et cette image disparue n'est
jamais autre chose qu'un horizon. Car la question n'est pas de la
trouver mais bien de suivre sa piste, de parcourir un chemin, de
faire un voyage, une expérience. Les films de Taki s'ouvrent ainsi
souvent sur le prétexte d'une enquête. Comme un lièvre dans une
course de fond, l'enquête ne sert jamais qu'à imprimer le rythme,
le pas du récit. On comprend vite qu'elle va bientôt quitter la
piste et laisser le film – et l'artiste - continuer seul. C'est un
exil. Le film n'a pas besoin de l'illusion d'une fin, il n'a pas
besoin d'aller quelque part. Si ce n'est ramer vers l'Île des Morts
comme d'autres autrefois traversaient un pont à la rencontre des
fantômes. Programme définitif d'un cinéma d'un autre temps. Si
Taki cherche sans relâche la trace d'un spectre c'est probablement
celui de ce cinéma qui permet de voir par l'absence laissée entre
les images, de penser par la disparition.
Pour raconter autrement cet univers, on
pourrait s'attarder alors sur le téléphone portable qu'il utilise
pour filmer dans plusieurs de ses œuvres. Il ne s'agit pourtant pas
d'aller chercher ici une quelconque nouveauté ou même encore une
signature mais simplement de mettre à jour la manière dont le
cinéaste amplifie des lignes de force déjà anciennes dans son
travail. Ce geste d'une radicalité simple dit d'abord ce que
l'artiste met à distance : le cinéma comme produit collectif, comme
fabrique, comme industrie avec ses postures, sa planification, son
organisation et ses normes sociales. À ce « théâtre »,
il oppose un cinéma de la nécessité. On pense forcément à Godard
et à ses croisières de reclus, à ces tournages qui n'ont plus que
la solitude comme décor et la beauté d'un ultime combat sans armée.
Taki choisit lui aussi le voyage en solitaire et inscrit comme son
aîné son art sous le signe de la relation incestueuse qu'entretient
le cinéma avec la littérature.
Il part à la recherche de son double,
marche sur ses propres traces, piste toujours plus vers l'Est son
fantôme, figure incertaine de l'écrivain qui remplit un journal
parsemé de trous.
Le téléphone portable lui offre ses
images pleines de doute, plus
petites que le monde et pas plus sûres que des songes,
débarrassées de la charge des grands récits, du projet de
l'illusion cinématographique.
Par petites touches, Taki construit
cependant un monde. Lentement, ce jeu d'images intimes qui caressent
la peau, les ivresses et les tragédies de destins singuliers, ces
histoires que rien ne semblent relier, laissent place à une vue
d'ensemble, et l'on aperçoit le vaste paysage de la disparition que
trame l'artiste film après film.
Comme un écho aux indices parcellaires
- journaux énigmatiques, récits - que laissent les disparus dans
ses films, le cinéma de Jean-Claude Taki est rempli de ces espaces
vacants qui sont aussi des espaces d'attente – et peut-être la
condition d'une mémoire retrouvée. On le sait maintenant, le
mystère ne se résout pas, il se pratique, inlassablement. L'image
disparue ne sera donc jamais trouvée car elle n'est elle-même qu'un
espace de projection. Et la beauté de ce cinéma se résume ainsi
dans la tentative à jamais reconduite de donner corps à cette
absence.
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