(article à paraître en avril 2013 dans la Tracés. Revue de sciences humaines, n° 24.)
Emmanuel Didier
CNRS-EHESS, GSPM
Cyprien Tasset
CNRS-EHESS, GSPM
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Images extraites de l'atelier de dessin de la BAC du 14ème arr. de Paris (Courtesy Julien Prévieux) |
Classiquement,
ce sont les probabilités qui font le lien entre les statistiques et
le possible. Ainsi, c’est par un calcul de probabilité que le
fondateur de la démographie, John Graunt, passa des registres de
mortalités tenus par les paroisses puis transformés en
statistiques, aux « chances » de mourir des personnes qui
voulaient prendre une police d’assurance et aux montants des rentes
viagères que les assureurs pouvaient leur verser (Daston, 1988).
Pourtant, en reprenant les
propositions de Luc Boltanski dans De la Critique, on peut
distinguer, non pas une, mais deux façons de les lier. D’un côté,
conformément à cette tradition classique « le risque, en tant
qu’il est probabilisable, constitue précisément un des
instruments de construction de la réalité inventés au XVIIe siècle
[...] » (Boltanski, 2009, p. 93) ; il est pensable à
partir de formats et d’épreuves relativement stabilisés. D’un
autre côté, « tout événement n’est pas maîtrisable dans
la logique du risque, en sorte qu’il demeure une part inconnue
d’incertitude [...] » (ibid.). C’est ainsi que
Boltanski introduit la distinction entre, d’une part, « la
réalité » qui « tend à se confondre avec ce qui paraît
se tenir en quelque sorte par sa seule force, c’est-à-dire avec
l’ordre [...] » et, de l’autre, « le monde »
comme « tout ce qui arrive », l’ensemble « des
événements ou des expériences, dont la possibilité n’avait pas
été insérée dans le dessin de la réalité » (ibid.).
Nous ne nous occuperons pas ici des moyens par lesquels le possible
est domestiqué par les probabilités au sein d’une réalité
conçue comme cohérente et close sur elle-même, mais d’une
multitude de pratiques engageant la pensée statistique et qui
interviennent au contraire pour remettre en cause la réalité et
faire place au monde.
À la suite de Foucault (2004)
et de beaucoup d’autres, et malgré les imprécisions que le terme
engendre, on peut convenir d’appeler néolibéral l’état actuel
de la réalité. Celle-ci est en grande partie conformée et
consolidée par les statistiques, ce qui ne doit pas, en soi, nous
étonner. En effet, la statistique a eu partie liée depuis son
origine avec le pouvoir et en particulier le pouvoir d’État
(Bourdieu et al., 2000, p. 7), comme l’étymologie du
mot le rappelle, ou encore avec la gouvernementalité (Foucault,
2004). Mais nous avons pu remarquer que le noyau dur technologique de
l’instrumentation concrète du néolibéralisme est singulier, il
peut être appelé le benchmarking, une évaluation
quantitative et comparative permanente de l’activité des agents
qui se transforme en compétition (Bruno et Didier, 2013).
L’évaluation est tellement systématique aujourd’hui qu’elle
tend à se confondre avec l’action elle-même. Partout, tout le
temps, on nous demande de définir nos indicateurs afin de quantifier
notre activité. Or, comme le dit Alain Desrosières, « [u]ne
fois les procédures de quantification codifiées et routinisées,
leurs produits sont réifiés. Ils tendent à devenir “la
réalité”, par un effet de cliquet
irréversible » (2008a, p. 12). Nous sommes alors tenus
d’atteindre des objectifs chiffrés, et d’intensifier
indéfiniment nos performances dans le domaine défini par
l’indicateur. La pratique est rabattue sur une ligne pauvre de
reproduction optimale du même, au détriment des variations,
expérimentations, accidents et imprévus. L’insertion des acteurs
dans des réseaux de quantification de plus en plus serrés apparaît
donc comme un des instruments majeurs du rétrécissement des
possibilités pratiques qui leur sont offertes.
Il n’est donc pas étonnant
que les statistiques soient devenues l’objet de multiples
critiques, d’un rejet de principe. Pourtant, si elles sont
aujourd’hui suspectées d’avoir partie liée avec le pouvoir et
la sanction, l’histoire de leurs liens avec la réforme sociale et
l’émancipation est tout aussi longue et riche. Elles ont aussi,
par le passé, montré qu’une autre réalité était possible ou
ont rendu d’autres possibilités réelles. C’est pourquoi nous ne
réagissons pas comme ceux qui les rejettent en bloc et crient « Non
à la quantophrénie ! Non aux chiffres ! Oui aux
qualités ! » (voir par exemple Caillé, 2012, p. 84-87)
car, ce faisant, ils laissent le monopole de ces instruments aux
puissants. Il n’y a pas de raison pour que la quantification se
trouve toujours du côté de l’État et du capital.
Le statactivisme, qui est un
néologisme de notre invention, doit être compris à la fois comme
un slogan et comme un concept descriptif, utilisé pour qualifier les
expériences visant à se réapproprier le pouvoir des statistiques.
Dans cet esprit, une conférence a été organisée à Paris le 15
mai 2012 qui a permis, d’une part, de cartographier un ensemble de
travaux correspondant à cette ambition et, d’autre part,
d’expliciter les tensions et les questions dans lesquelles nous
plongeait cet usage de la quantification.
Le présent article puise dans les communications qui y ont été
délivrées et présente leurs principaux résultats concernant
l’ouverture du possible par les statistiques.
Nous avons tenu à étayer notre
proposition par une démarche illustrative et même démonstrative.
Cette dernière dimension vise en particulier à réévaluer les
obstacles réputés interdire que l’on s’empare de la
quantification comme argument. Ainsi, on doute parfois que les
statistiques puissent échapper à leur rôle courant d’outils du
néolibéralisme ; ou bien l’on craint que leur technicité
les réserve aux seuls spécialistes. Nous voulons au contraire
montrer qu’elles peuvent jouer un rôle émancipateur important
dans la main d’un grand nombre d’acteurs.
Ainsi, faire des statistiques
semble nécessiter de solides connaissances mathématiques. Il est
vrai que depuis les années 1930, les grands statisticiens sont aussi
des mathématiciens, et que des outils techniques sophistiqués ont
été introduits dans la discipline. Mais rappelons-nous que les
sociétés occidentales ont été recouvertes par une « avalanche
de chiffres » statistiques dès le milieu du XIXe siècle
(Hacking, 1982). Qui, alors, produisait ces ribambelles de nombres ?
Principalement des gens sans grandes compétences mathématiques que
cela n’empêchait pas de produire des connaissances ainsi que de
peser sur la réalité. Quantifier, c’est produire du savoir, donc
acquérir du pouvoir. C’est donc une arme précieuse dont nous
pouvons nous ressaisir.
Pour autant, il ne faut pas se
défier des statisticiens professionnels ; au contraire, ils
peuvent être de précieux alliés. Mais il n’est pas toujours
nécessaire de passer par eux. Nous verrons que les compétences
requises pour le statactivisme peuvent être largement partagées.
Sans recourir ni aux ressources de grosses institutions, et en
particulier à l’État, ni à celle d’une science très
spécialisée, nous verrons dans quelle mesure le public peut se
rendre capable de produire de bonnes statistiques, qui font mouche,
qui produisent leur effet dans la société.
Du même coup, le statactivisme
participe de la lutte contre l’éparpillement des oppositions. En
effet, en intervenant le plus souvent sous la forme de « réformes »
sectorielles, le benchmarking a favorisé un cloisonnement des
critiques au sein de chaque univers professionnel. Résultat, les
acteurs des différents univers professionnels concernés expriment
leur éventuel désarroi, mais tour à tour et face à un public
spécialisé.
Le statactivisme, au contraire,
permet de dépasser les frontières instituées. Ceci lui est
facilité par la tradition française des statistiques où coexistent
d’une part des spécialistes de tel ou tel objet (économie de la
santé, sociologie de la culture, etc.) et d’autre part des
mathématiciens pointus, dont les méthodologies sont transférables
d’un domaine à un autre. Mais surtout, la question qu’il pose a
rallié des spécialistes de plusieurs disciplines. Le colloque de
mai rassemblait en effet des chercheurs spécialisés dans l’étude
des statistiques, des militants habitués à utiliser les chiffres
pour faire avancer leurs causes et enfin des artistes plasticiens
dont l’inspiration se trouve dans la quantification et les
techniques contemporaines du management par les nombres. Nous
montrons que critique universitaire, critique sociale et critique
artiste convergent.
Si le statactivisme consiste à
utiliser les statistiques au service de l’émancipation, on peut en
répertorier trois variantes. Après un retour historique qui permet
d’interroger le degré de radicalité de la critique
statistique, nous nous pencherons sur une première pratique très
largement partagée consistant à ruser avec la règle de
rendu des comptes, individuellement et souvent secrètement, de façon
à s’approprier les résultats de l’exercice. Deuxièmement,
certains utilisent les statistiques pour consolider une catégorie
collective sur laquelle s’appuyer pour revendiquer des droits et
défendre leurs intérêts. Enfin, troisièmement, certains
produisent des indicateurs alternatifs qui montrent
l’importance sociale d’éléments de réalité pourtant négligés
par les institutions dominantes. Chaque discipline – à savoir
science, militantisme et art – envisage ces opérations dans les
termes de son médium de prédilection : textes, interventions
ou images (même si l’on sait bien que chacune de ces pratiques
intellectuelles utilise les trois), et avec la liberté de ton, qui
peut aller du sérieux à l’humoristique, qui lui convient le
mieux. Chacune conserve ainsi la spécificité de son langage pour
apporter son éclairage sur une opération commune.
Trois expériences d’activisme statistique
réformiste dans les années 1960-1970
L’histoire
du lien entre statistique et émancipation sociale est ancienne, et
en tous cas précède de très loin l’usage actuel des statistiques
comme instrument du management incitatif auquel le statactivisme
s’oppose. Nous replonger dans le passé permet de mieux suivre la
carrière de ces innovations statistiques et donc de mieux
comprendre, sur la durée, comment de telles innovations peuvent être
acceptées par le public. Les transformations qu’elles appelaient
de leurs vœux étaient-elles radicales ou réformistes ? Et
qu’en est-il de celles qu’elles ont effectivement engendrées ?
Un exemple intéressant est
celui du livre Les héritiers (1964) de Pierre Bourdieu et
Jean-Claude Passeron. Il montrait statistiquement que l’école ne
palliait pas les inégalités culturelles entre les enfants, mais
faisait l’inverse en validant le capital culturel de ceux qui le
recevaient de leur famille. La démonstration était faite au moyen
de variables croisées les unes avec les autres pour montrer que ce
sont les enfants dont les parents appartiennent aux catégories
sociales ayant déjà un capital culturel important qui parviennent à
entrer dans les filières scolaires les plus prestigieuses.
Ce que le livre montrait, tout
le monde le savait plus ou moins pour son cas personnel. Mais, en
totalisant une série d’expériences individuelles objectivées, il
donnait à chacun un appui pour comprendre comment son propre cas
était moins le fruit de sa vertu scolaire personnelle que d’un
système s’imposant à tous. D’où un effet de déculpabilisation.
On voit l’importance du fait
que les nomenclatures utilisées soient officielles : provenant
du système lui-même, elles montrent ses contradictions internes. Il
prétend pallier les injustices, il fait appel à l’éthique du don
des enseignants qui dispensent le savoir pour le bien de tous mais,
en fait, il ne fait que réinstituer l’inégalité.
Boltanski, qui a présenté
cette analyse, en conclut que la critique statistique ne permet pas
de capturer ce qu’il appelle des critiques existentielles.
Ces critiques radicales, qui sont le plus souvent du ressort des
artistes, consistent à puiser dans le monde des éléments qui
comptent sans pour autant avoir été institutionnalisés. Les
Héritiers n’incitait pas à mettre en cause l’existence même
de l’école. Le livre proposait plutôt une critique réformiste
échafaudée à partir des catégories de la réalité
institutionnelle et critiquait l’institution depuis celle-ci. Il
n’en demeure pas moins que la publication de ce livre a rencontré
un grand succès, et aurait même « joué un rôle non
négligeable dans le changement d’humeur collective qui a précédé
mai 1968 » (Boltanski, à paraître).
La longue controverse sur
l’indice des prix en France en est un autre exemple, présenté par
Alain Desrosières (Date). Il montre le cheminement des indices des
prix alternatifs pendant toute la période qui va de 1972 aux années
1990. Pendant cette période, la Confédération générale du
travail (CGT) publiait les résultats d’un indice qu’elle avait
construit elle-même, différent de celui de l’Institut national
des statistiques et des études économiques (INSEE). La CGT arguait
du fait que l’indice INSEE reposait sur des hypothèses qui
correspondaient trop au mode de consommation des classes moyennes,
très différent de celui des classes populaires. Par exemple, le
ménage de référence retenu par la CGT était composé de quatre
personnes, deux parents et deux enfants, dont le chef est ouvrier
qualifié et locataire d’un logement « décent » en
région parisienne. Ce ménage n’est pas celui de l’INSEE. De
même, les paniers de biens pris en compte ne sont pas les mêmes,
celui de l’INSEE comptant 295 produits alors que celui de la CGT en
comptait 363. Ces différences de conception aboutissaient à des
valeurs finales différentes de plus de 2 points en moyenne entre
1972 et 1982 (Piriou, 1992).
Initialement, l’indice de la
CGT a connu un succès important, très souvent utilisé – à côté
de celui de l’INSEE – lors des négociations salariales et
parfois relayé dans les médias (Piriou, 1992, p. 82).
Pourtant, à partir de la fin des années 1980, il est de moins en
moins repris jusqu’à ce que la CGT décide d’arrêter
complètement son calcul pendant les années 1990. Comment l’indice
de la CGT a-t-il pu être recevable dans un premier temps, avant de
perdre progressivement de son intérêt pour, finalement, disparaître
corps et biens ? Desrosières (Date) propose de considérer que
les arguments statistiques rencontrent des conditions de réception
qui leur sont plus ou moins favorables, et qui peuvent changer avec
le temps. Pour lui, ces conditions sont pour une part
macrosociologiques et comprennent des façons de penser et
d’organiser les rapports sociaux et pour l’autre part
microsociologique, et dépendent des réseaux d’acteurs mobilisés
pour faire exister ces statistiques alternatives. Une constante de
cette histoire est que les indices, s’ils différaient sur les
produits pris en compte dans leur calcul, s’accordaient par
ailleurs sur l’appareil méthodologique qui permettait de les
calculer et sur leurs usages institutionnels. Avec son indice, la CGT
reprenait à son compte l’architecture de concepts économiques qui
le rendent pertinent. En ce sens, on peut encore tomber d’accord
sur le fait que la critique était réformiste, et non radicale.
L’année où la CGT lançait
son indice, l’artiste allemand Hans Haacke montait à la galerie
newyorkaise John Weber une exposition avec des objectifs que l’on
peut rapprocher de ceux du livre Les héritiers dont il est
question plus haut.
Le jour du vernissage, le public ne voyait rien d’autre qu’une
table sur laquelle reposaient des questionnaires d’une vingtaine
d’items portant sur ses caractéristiques sociodémographiques et
ses opinions concernant des événements d’actualité. Quelques
jours plus tard, Haacke, ajoutait à son accrochage les résultats de
son enquête sous forme de tableaux représentant des graphiques et
des histogrammes. Ces derniers montraient que l’immense majorité
des visiteurs étaient liés professionnellement au monde de l’art,
appartenaient à une classe moyenne éduquée et aux moyens
financiers limités, et qu’ils se déclaraient très
majoritairement libéraux (au sens américain du terme). Haacke
produisait ainsi un contraste avec d’autres expositions qu’il
réalisait pendant la même période, où il affichait, sans
commentaire, des déclarations de grands magnats de l’art
contemporain (Rockefeller, Kingsley, etc.) montrant leur idéaux très
farouchement Républicains, et le cynisme avec lequel ils associaient
leur collection au développement du capitalisme. Ainsi, dans les
cadres du monde de l’art (une galerie prestigieuse à New York) et
au moyen de catégories très solidement établies, Haacke
exposait-il le fossé politico-social qui opposait radicalement le
public de l’art contemporain et l’élite qui en est le
commanditaire. La critique statistique était plutôt réformiste, au
sens où elle s’appuyait sur les institutions qu’elle prétendait
écorner.
Ces trois expériences très
conformes à l’esprit des années 1970 ont des auteurs qui
n’étaient pas tous spécialistes de la statistique, mais qui pour
autant étaient loin d’être démunis face à elles. Bourdieu
s’inscrivait dans la longue tradition sociologique d’utilisation
des statistiques que l’on peut faire remonter jusqu’au Suicide
de Durkheim ; il était, en outre, personnellement lié à
des statisticiens de l’INSEE depuis les années 1950. De son côté,
la CGT prolongeait une longue tradition de production de statistiques
sociales qui remonte pour les syndicats à la fin du XIXe siècle
(Topalov, 1994, p. 280 sq.). Enfin, si rien n’indique
que Hans Haacke ait reçu une quelconque formation statistique, il
pouvait s’appuyer sur son expérience d’artiste déjà installé
pour critiquer de l’intérieur le monde de l’art. Les
représentants de cette génération de statactivistes utilisèrent
donc les riches ressources cognitives et institutionnelles auxquelles
ils avaient accès pour produire des statistiques. Dans la mesure où
ces dernières prennent appui sur des éléments de la réalité
stabilisés et institutionnalisés – nomenclatures, séries de
produits, réseau de distribution et de publicisation d’un milieu,
etc. –, elles ne remettent pas radicalement en cause la réalité
mais permettent plutôt de l’infléchir, de la réformer. Bourdieu
et Passeron n’ont pas remis l’existence de l’école en cause,
mais ils en rendaient une réforme possible ; la CGT a construit
un outil qui lui a permis de peser davantage, mais dans le cadre
institué des négociations salariales ; enfin, Haacke a
participé à la fondation d’un nouveau mouvement appelé la
« Critique institutionnelle » qui a pris place dans le
monde de l’art. L’accès aux ressources statistiques
institutionnelles a pour effet conjoint de rendre une réforme
possible, et de stabiliser le cadre dans lequel ces réformes ont
trouvé leur place. Ainsi, le statactivisme, c’était Framing
and Being Framed, pour reprendre le titre du livre où Haacke a
présenté l’exposition du sondage (Haacke et al., 1975).
Sautons maintenant par dessus la quarantaine d’années qui nous
séparent de ce temps héroïque et explorons la descendance actuelle
de cet usage des statistiques.
Les ruses avec la règle : le cas de la
police
Depuis
les années 1970, l’objet des luttes engageant des nombres, et donc
du statactivisme, s’est déplacé en suivant les grands projets
institutionnels de quantification. En effet, ceux-ci s’appliquent
désormais moins à de vastes agrégats comme le système scolaire,
les négociations salariales par branche, le monde de l’art, qu’à
l’activité des personnes individuelles.
De sorte que la pratique
statactiviste probablement la plus largement répandue aujourd’hui,
mais qui reste aussi discrète qu’elle est commune, consiste, pour
les acteurs du bas de la hiérarchie, à se donner pour eux-mêmes
des marges de manœuvre à l’intérieur des cadres de production
des comptes rendus statistiques qui leur sont imposés. Cette façon
de résister à l’évaluation revient à se comporter comme les
dirigeants, c’est-à-dire à ne pas croire à la lettre de la
règle, pour l’adapter dans un sens qui convient mieux à celui à
qui elle s’applique. Mais la principale différence entre le haut
et le bas de la hiérarchie consiste en ce qu’en bas, ces
réadaptations sont tenues secrètes, ou plus exactement sont
effectuées discrètement, car tenues pour illégitimes, alors qu’en
haut elles peuvent être proclamées comme n’étant rien d’autre
que des adaptations salutaires, gages de souplesse et de flexibilité
(Boltanski, 2009, p. 217 sq.). Le statactivisme, consiste
ici pour les dominés, d’une part à prendre des libertés avec la
lettre de la règle, et d’autre part à rendre publique et légitime
une pratique courante, mais passée sous le boisseau.
Pour illustrer ce point, on peut
utiliser le cas de la police qui est depuis quelques années soumise
à ce que ses détracteurs appellent péjorativement la « politique
du chiffre » et ses thuriféraires la « culture du
résultat ». On a coutume de localiser la naissance de ce
système à New York City, pendant le premier mandat du maire
Républicain Giuliani, entre 1994 et 2001. Son préfet de police,
William Bratton, mit alors en place un système de management
policier appelé Compstat (qui signifie pour les uns
« computer statistics » et pour les autres
« comparative statistics ») reposant
fondamentalement sur la quantification de l’activité des agents.
Les commissaires de precinct (équivalent à peu près à un
arrondissement de Paris) avaient pour charge de quantifier leurs
activités, de façon à rendre des comptes très régulièrement à
la plus haute hiérarchie policière, ce qui devait leur permettre de
prouver qu’ils avaient pris des initiatives et été
particulièrement « proactifs ». Dès que cet instrument
fut mis en place, la criminalité enregistrée baissa de façon
impressionnante. Certains contestèrent le rapport de cause à effet
de l’un à l’autre, affirmant qu’il n’y avait eu que
concomitance, mais d’autres – comme le sociologue de la police
respecté, Eli Silverman, qui fit une étude approfondie de Compstat
(1999) – parlèrent de « miracle new yorkais ». En tous
cas, de très nombreuses polices imitèrent ce système, aux
États-Unis comme dans le monde. Ce fut le cas en particulier de
Baltimore, dont le système « Citystat » apparaît
dans la fameuse série télévisée Sur écoute (The Wire)
ainsi que de la France, où le préfet de police de Paris Jean-Paul
Proust importa Compstat en 2001 (Didier 2011a).
On assiste cependant, depuis
quelques années, à un retournement spectaculaire des jugements
portés sur Compstat. Même Silverman remet en cause très
vigoureusement ses effets récents sur les agents. Le système ne les
motiverait plus à mieux lutter contre le crime mais, au contraire,
il dévoierait leur motivation et les inciterait à ruser avec leurs
propres règles. Par exemple, il montre que les policiers new yorkais
ont, en 2011, réalisé un nombre de contrôles d’identité de
jeunes gens noirs supérieur au nombre de jeunes noirs effectivement
recensés dans la ville ! Autrement dit, les objectifs
quantitatifs à atteindre en cette matière auraient incité les
agents à préférer contrôler toute personne jeune et noire qu’ils
rencontraient, sans exception, alors que la loi stipule de ne
contrôler que ceux pour lesquels il existe un doute sérieux et
véritable que la personne s’apprête à commettre une infraction.
Les policiers auraient donc utilisé les marges de manœuvre dont ils
disposent – il ne revient qu’à eux de décider si telle ou telle
personne s’apprête à commettre une infraction – pour satisfaire
leur chef direct, réinterprétant par là même les limites de leur
discernement qui pourrait leur commander d’agir autrement.
Silverman accuse du même coup les évaluations quantitatives
d’engendrer indirectement un racisme d’État, parce que le
comportement optimal, pour les agents, consiste à ruser avec la loi
de façon à maximiser leur activité apparente.
Pour donner à voir la dérive
systémique de Compstat, Silverman et un ancien agent de
police, John Eterno, ont mis en place une enquête statistique
(Eterno et Silverman, 2012). Le syndicat des policiers retraités
leur a donné accès au fichier de ses membres. Ils ont fait passer à
ces derniers un questionnaire anonyme qui leur demandait s’ils
avaient le sentiment d’avoir transformé les chiffres, ou leur
comportement sous l’influence des chiffres, d’une façon
« unethical » (non éthique) et s’ils pouvaient
attribuer ces comportements à la mise en place de Compstat.
Parmi les répondants, plus de la moitié répondirent que depuis
Compstat, ils avaient effectivement eu des comportements très
éloignés de la norme et un quart assez éloignés.
En France, certains
fonctionnaires des forces de l’ordre dénoncèrent aussi ces
travers. Le brigadier de gendarmerie Jean-Hugues Matelly écrivit
ainsi avec le sociologue Christian Mouhanna Police : des
chiffres et des doutes (2007) et le commandant de police Philippe
Pichon, pour sa part, publia son Journal d’un flic (2007).
Dans les deux cas, ils insistaient sur le fait que la quantification
n’incitait pas seulement les agents à agir plus efficacement, mais
qu’elle les poussait aussi à adopter des comportements contraires
à ceux que prescrirait la déontologie policière. Pour atteindre de
bons résultats quantifiés, le comportement individuel le plus
facile peut consister à biaiser les chiffres.
De son côté, l’association
Pénombre, composée en majorité, mais pas exclusivement, de
statisticiens professionnels et de professeurs de mathématique, et
qui intervient dans le débat public pour lutter contre
l’« innumérisme », tourna un petit film, pastichant
les reportages télévisés, sur un commandant fictif appelé Yvon
Dérouillé. Celui-ci y explique comment il est possible, avec un peu
de chance et de malice, de dénombrer bien plus de faits élucidés
(c’est-à-dire de faits que l’on peut attribuer à un suspect)
que de faits constatés (sans le suspect), ce qui est jugé
positivement par la hiérarchie. Ce résultat, même s’il se
comprend lorsqu’on entre dans la logique quantitative (si un fumeur
de haschisch dénonce trois fournisseurs, il y a un fait constaté –
consommation illicite – et quatre faits élucidés car un fumeur
plus trois suspects), reste tout de même largement paradoxal pour le
sens commun qui voudrait qu’un fait élucidé ait toujours été,
auparavant, constaté.
Julien Prévieux, artiste
plasticien, pousse à son paroxysme la liberté engendrée par
l’écart entre la règle et son application en en faisant
l’occasion d’une activité proprement artistique – qui n’est
d’ailleurs pas sans malice non plus. Ayant été mis en contact
avec de jeunes policiers de la BAC du 14e arrondissement
par un réseau amical, il leur a proposé de faire un atelier de
dessins statistiques à partir des données de la criminalité
observée dans leur arrondissement. Les fonctionnaires ont utilisé
les plaintes déposées dans leur commissariat pour un certain nombre
d’infractions (cambriolages, vols, etc.). Julien Prévieux leur
expliqua alors comment transformer ces données en diagramme de
Voronoï – un outil qu’il a d’ailleurs dû travailler lui-même
durement en préparation – qui est une représentation graphique
proche des isobares météorologiques, où la densité du crime est
représentée par une densité de traits plus importante. Artistes et
policiers ensemble, sur leurs heures de loisir (et même peut-être
pendant leurs heures de travail, mais nul ne peut l’attester), ont
exercé leur sens esthétique en traçant de splendides dessins. Les
résultats ont été exposés à de nombreuses reprises dans des
centres prestigieux qui attestent indubitablement du caractère
artistique de ces productions. Certains ont été vendus à des
collectionneurs ou à des musées publics, les bénéfices étant
partagés entre l’artiste certifié et les policiers, lesquels
n’étaient donc pas nécessairement plus désintéressés que
lorsqu’ils tentent de satisfaire leurs hiérarchie. Les marges de
manœuvre qui persistent dans l’application de la règle policière
prenaient ainsi une valeur artistique.
Ainsi, on assiste ici à un
statactivisme à double détente. Au premier niveau, il concerne tous
les agents d’une administration et ne requiert que des ressources
minimes pour être mis en place, à savoir la maîtrise pratique des
règles d’auto-évaluation des agents d’exécution. Il consiste
en l’appropriation de ces règles de production des statistiques de
façon à, plus ou moins discrètement, plus ou moins ouvertement,
les adapter à ses propres intérêts – qui peuvent aller de la
pure veulerie et flatterie des attentes du chef, à la plus fière
indépendance consistant à produire des œuvres d’art. L’activité
statistique contraint au codage, sans quoi il n’y aurait pas de
données quantifiées, mais le codage, qui est le plus souvent laissé
entre les mains des agents les plus dominés de la hiérarchie,
laisse nécessairement à ces derniers une marge de manœuvre
(Thévenot 1983). Dans la mesure où, comme aujourd’hui, le codeur
est celui-là même qui sera évalué par les données qu’il code,
il utilise cette possibilité à son propre profit. Rien de radical
ici, au contraire, la portion de réalité qui change est minime :
le codage d’un fait et à plus long terme la carrière d’un
agent.
À un second niveau, le
statactivisme consiste à agréger toutes ces pratiques locales, et à
montrer que, pour silencieuses qu’elles soient, elles n’en sont
pas moins prégnantes. Le statactiviste doit alors résoudre le
paradoxe d’être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur
de l’institution. En effet, on ne peut recueillir les traces des
opérations discrètes des codeurs sans être avec eux dans
l’institution, et en même temps, il faut avoir accès à une
tribune publique pour rendre compte à un niveau agrégé de ce dont
on a été témoin. C’est la raison pour laquelle les
statactivistes ont tendance à travailler en couple ou à plusieurs,
le cas typique étant un policier associé à un sociologue.
Les moyens de la publicisation
peuvent être, entre autres, statistiques, documentaires ou
artistiques : Silverman et Eterno ont réalisé une enquête,
les policiers français ont publié des témoignages, Pénombre a
réalisé un film, Prévieux a animé un atelier de dessin. Dans tous
les cas, ils ne dépendent pas de l’État ni de ses institutions.
En effet, pour rendre publiquement discutables les effets de ces
pratiques atomisées de jeu avec la quantification, il faut capturer
des éléments non pris en compte, cachés, par l’institution. Il
n’est donc pas possible de se contenter de ses ressources à elle
pour les agréger.
Le rapport au possible de ce
statactivisme de deuxième niveau est double. D’une part, il
cherche à montrer la possibilité d’une autre réalité agrégée
que celle qui est instaurée par l’institution. Il clame par
exemple : non, contrairement à ce que l’État affirme, le
crime n’est pas en baisse continuelle car cette baisse s’explique
mieux par les manipulations de codage effectuées par les forces de
l’ordre. Il désigne alors la possibilité d’une autre réalité
que la réalité officielle. Mais ce faisant, il dénonce la capacité
de l’institution à contrefaire la réalité. Ici, la formule de la
clameur est : l’État a les moyens de nous mentir. Ce n’est pas
alors sur la réalité que porte le doute, mais sur l’action de
l’État, qui peut prétendre faire une chose (lutter contre le
crime) mais en faire une autre (manipuler l’opinion). L’État ne
se laisse bien entendu pas faire, et comme on a pu le montrer
ailleurs en reprenant la structure des assauts d’escrimeurs, la
série des parades ripostes entre l’État et les statactivistes est
loin d’être achevée (Didier, 2011b).
Pour le coup, ce statactivisme
peut être plus ou moins radical, d’une façon qu’il ne détermine
pas. Il peut remettre radicalement en cause toute l’institution
policière, comme le fait par exemple un Mathieu Rigouste (2011) qui
infère à partir de ce dévoilement une alliance du pouvoir
politique et du pouvoir économique utilisant la peur comme moyen de
gouvernement. Il peut aussi être réformiste, comme le sont Matelly
et Mouhanna qui militent pour une refonte du système d’évaluation
allant vers une réévaluation positive de la police de proximité.
Le statactivisme couvre ainsi
une variété de pratiques qui va du niveau le plus farouchement
individuel au plus collectif, et il décrit à nouveau frais les
agrégats sur lesquels s’appuient les nouvelles techniques de
gouvernement. Mais à ce stade, le collectif qu’il construit n’est
pas un sujet politique, doté d’intérêts et de volonté propres.
Voyons maintenant, sur un autre exemple, comment cette subjectivation
est possible statistiquement.
Se compter pour compter. Artistes et précaires
Parmi
les mondes sociaux les plus fortement affectés par le développement
d’une gouvernementalité néolibérale se trouve celui des artistes
et professions intellectuelles. On en retiendra ici deux séries de
conséquences. Tout d’abord, l’envahissement de ces métiers
vocationnels par les instruments quantificateurs du pilotage
managérial provoque des expériences nouvelles, dont on peut faire
ressortir le caractère ambivalent, étrange, grotesque, ou
inversement, novateur et excitant.
Dans un second temps,
l’invocation d’expériences sociales ne cadrant plus avec les
formats disponibles alimente une critique des nomenclatures
officielles. Il arrive même que ces expériences soient insérées
dans un travail politique et cognitif visant à construire une
nouvelle catégorie sociale capable de porter des revendications. Or,
comme cela a pu être montré dans le cas des cadres (Boltanski,
1982), pour gagner en reconnaissance, les catégories ont intérêt à
s’institutionnaliser statistiquement. Nous voudrions montrer ici
que l’invention de nouvelles catégories sociales – et leur
critique – est déjà, et devrait être encore davantage, un
terrain important de statactivisme.
Si, comme Hans Haacke, nous
avions fait remplir aux participants à la journée Statactivisme un
questionnaire sur leur identité et leur trajectoire, il en serait
probablement ressorti que bon nombre d’entre eux – public comme
intervenants – s’étaient posé, ou se posaient actuellement, la
question du statut sous lequel ils pourraient durablement exercer et
financer une activité artistique ou intellectuelle. Pourtant, seuls
les artistes ont trouvé le moyen de mettre en scène les paradoxes
dans lesquels cette tension les place. Julien Prévieux présenta ses
Lettres de non-motivation (2007). En réponse à des offres
d’emploi, il avait envoyé des lettres dans lesquels il dénonçait,
chaque fois dans une forme spécifiquement adaptée, les raisons pour
lesquels le job lui paraissait inacceptable, et terminait en
signifiant son refus du poste. Ces lettres fonctionnaient comme un
breaching (Garfinkel, 1967), c’est-à-dire comme une
expérience sociologique consistant à se comporter comme un
« idiot », de façon à forcer les acteurs à
réexpliciter les hypothèses implicites de la société. L’effet
était immanquablement comique. Ses lettres reçurent parfois une
réponse, pour les unes parfaitement standardisée, pour les autres
personnalisée, qu’il présentait en regard de la sienne. Toutes
répétaient, d’une façon ou d’une autre que les travailleurs,
intellectuels ou non et précaires ou pas, sont censés donner en
permanence la preuve de leur motivation en vue de l’emploi. Pour
Julien Prévieux, il fallait mettre en évidence, et donc
relativiser, le lien existentiel entre la motivation individuelle et
les promesses du capitalisme contemporain.
L’artiste Martin Le
Chevallier, pour sa part, nous a expliqué qu’en atteignant les
quarante ans, il s’était demandé à quel moment il cesserait
d’être un jeune artiste prometteur, et comment il deviendrait un
artiste qui compte. Pour résoudre cette énigme, il eut l’idée de
se tourner vers un cabinet d’audit et de conseil, à qui il demanda
de faire son propre audit. L’activité d’un artiste était ainsi
rendue équivalente à celle de n’importe quelle entreprise. Après
une première réaction de surprise, le cabinet accepta. Le
Chevallier raconte comment se déroula l’audit, avec ses modèles
SWOT – S-trengths (forces), W-eaknesses (faiblesses),
O-pportunities (opportunités), T-hreats (menaces) –,
la définition de différentes stratégies et de clients
prescripteurs et quelles conclusions en furent tirées. Le
rapprochement entre l’activité artistique et ce langage managérial
est particulièrement détonnant.
Ainsi, au lieu de rejoindre les
luttes collectives de défense de la condition des artistes, il
avait, seul, eu recours aux outils utilisés par les chefs
d’entreprise, ou les maires pour évaluer le potentiel économique
de leur ville. Évidemment, c’était aussi particulièrement drôle.
Mais au fond, qu’y a-t-il de si drôle dans une pratique à
laquelle, au moins en secret, tout artiste, et beaucoup d’autres
travailleurs culturels et scientifiques se livrent ?
À défaut de recourir chacun
pour leur compte personnel aux services de l’audit, les
intermittents du spectacle ont collectivement fait l’objet au cours
des années 2000 d’expertises destinées à préparer et à
justifier une réforme de leur régime spécifique d’indemnisation
chômage. Lors de la journée de mai 2012, Maurizio Lazzarato nous a
présenté une grande enquête, y compris statistique, qui fut menée
par les intermittents, au cours de la mobilisation débutée en 2003.
Il s’agissait de décrire leurs pratiques professionnelles
autrement que dans les termes de la « fraude », et de
comparer le prix du nouveau régime dont ils avaient eux-mêmes
dessiné l’ébauche à celui du modèle proposé par les pouvoirs
publics (Corsani et Lazzarato, 2008). Pour ce faire, près de 1500
intermittents recrutés par « boule de neige » et
interrogés par leurs pairs décrivirent rétrospectivement, sur les
cinq années ayant précédé le mouvement, leurs pratiques
professionnelles aussi bien que leurs ressources, principalement les
indemnités de chômage et les cachets. Cette enquête entre pairs a
permis d’assurer une relation de confiance, mais aussi une
interrogation compétente sur un sujet où le droit d’entrée est
lourd, en termes de compétences juridiques et administratives. Une
conclusion de ce travail fut de montrer que les expériences de
travail des artistes et techniciens intermittents ne correspondaient
guère aux représentations d’abus invoquées pour justifier la
« réforme ». Les intermittents en lutte associaient
ainsi une contre-enquête statistique participative à des
comptes-rendus foisonnants de leurs vies professionnelles, avec en
point de fuite un large collectif virtuel de travailleurs à emploi
discontinu, auxquels ils proposaient d’étendre leur projet de
nouveau régime d’indemnisation.
Les tentatives pour constituer
de nouvelles catégories sociales autour du genre d’expérience des
travailleurs artistiques ou intellectuels sont également centrales
dans le propos de Cyprien Tasset. Il décrit en effet deux tentatives
en ce sens. L’une, opérée pour ainsi dire par le bas, est
illustrée par l’ouvrage Les intellos précaires (2001)
d’Anne et Marine Rambach. Pour les Rambach, les « intellectuels
précaires » regroupent un ensemble de gens qui se retrouvent
en dehors du salariat protégé, comme les chercheurs non titulaires,
les artistes, les journalistes pigistes, etc. Il s’agit souvent de
diplômés, pas toujours jeunes, mais qui ne trouvent ou ne veulent
pas de situation d’emploi stable. L’argument des Rambach est que
cette situation dépasse les compétences et propriétés
individuelles, et tient à un fonctionnement social qui dévalorise
le travail intellectuel – avec l’arrière-pensée de le rendre
docile. Selon elles, ces personnes pourraient s’unir de façon à
faire reconnaître ce caractère systématique. Le fait de se compter
joue un rôle clé dans cette perspective, et c’est aussi une tâche
à laquelle elles s’attellent en listant les résultats
statistiques sur lesquels elles ont pu mettre la main au cours de
leur enquête.
À l’opposé de cette
stratégie par le bas, on peut passer « par le haut ».
Richard Florida (2002) par exemple, mais il n’est pas le seul,
soutient qu’émerge une « classe créative ». Celle-ci,
quoique beaucoup plus large, partage néanmoins avec les
« intellectuels précaires » un certain nombre de
caractéristiques, à ceci près que ce que les Rambach dénonçaient
comme aliénant ou au moins ambigu est ici valorisé. Ainsi, les
« créatifs » ne sont pas précaires mais, au contraire,
toujours prêts à se mouvoir au gré des opportunités créatrices.
Ils ne sont pas suspectés d’être oisifs mais au contraire sont à
la source de la richesse de tous dans une économie de la créativité.
Pour Florida, ce sont donc les fers de lance du capitalisme cognitif
à venir. À ce titre, il conseille aux maires soucieux de
développement de leur ville de les attirer, conseils vendus à pris
d’or et qui impliquent une expertise sur les villes créatives
laquelle, d’ailleurs, peut passer par le modèle SWOT (voir
ci-dessus).
C’est à double titre que les
précaires intellectuels ou créatifs intéressent le statactivisme.
Tout d’abord, parce que des ressources statistiques sont engagées
dans les luttes de classement impliquant cet objet social encore
largement indéterminé. Mais, qui plus est, le phénomène pointé
par les Rambach touche, entre autres, des précaires hautement
qualifiés en sciences sociales. Indéniablement destructrices, ces
situations offrent aussi, dans certains cas, une chance d’élaborer
des savoirs à distance aussi bien de la tutelle publique que de
celle du management privé. On peut espérer, avec Pascal Nicolas-le
Strat, que les professionnels rejetés ainsi en dehors des positions
instituées développent des « expérimentations et
hybridations » (2005, p. 29), dont certaines pourraient
être d’ordre statistique. D’ailleurs, les analyses du conflit
des intermittents montrent le rôle, en association avec les
chercheurs « CNRS », de militants de la précarité
rompus aux sciences sociales, aux côtés de comédiens ayant suivi
des formations scientifiques (Sinigaglia, 2012, p. 229).
La catégorie dont il s’agit
ici dispose, par définition, d’assez riches ressources cognitives
en général, et parfois en particulier de connaissances
statistiques. À partir du moment où les acteurs reconnaissent
l’avantage qu’il y a à passer par de tels arguments, ils
bricolent les ressources dont ils ont besoin (lettres, enquête par
boule de neige, recherche documentaire sauvage), ou n’hésitent pas
à recourir à des spécialistes qui les leur fournissent (cabinet de
conseil, théorie sociologique légitime).
Ici, le possible est donc encore
une fois à double fond : il s’agit d’abord de la
possibilité d’existence de ce sujet politique collectif, et
d’autre part de ses possibilités d’action. Dans le cas de la
police, le possible était de l’ordre du dévoilement, puisque le
statactivisme dévoilait sous l’action et sous la réalité
institutionnelle, une autre réalité, et une autre action. Ici, le
possible est affirmatif, puisqu’en construisant une catégorie à
partir de vertus et de maux spécifiques, le statactivisme cherche à
la fois à prouver l’existence de ce groupe, et à le munir
d’arguments. Bien entendu, dévoilement et affirmation ne
s’excluent pas mutuellement. Pourtant, ces deux notions permettent
de tracer un axe du possible allant, d’un côté, de la négation
d’une réalité préexistante à, de l’autre, l’affirmation
d’entités qui n’existent pas encore. On projettera sur cet axe
le possible lié à la critique réformiste d’un côté et celui
qu’exprime la critique existentielle de l’autre.
Mais une fois l’axe tracé, le
plus intéressant est de comprendre la complexité des mélanges
observés entre les deux extrémités pures. C’est ce que nous
pouvons faire en nous concentrant sur le cas d’un dernier outil
statistique, après le codage et les catégories, à savoir les
indicateurs.
Construction d’indicateurs alternatifs
Le
néolibéralisme fait un grand usage d’indicateurs. Un indicateur
est une mesure qui donne d’un phénomène complexe une valeur
unique et simple, dont une propriété centrale est de varier avec le
temps. Le Produit intérieur brut (PIB) est un exemple d’indicateur
de la richesse d’un pays, dont on suit les variations d’année en
année. Pour construire un indicateur, on ne retient du réel que
certains aspects jugés pertinents : dans le cas du PIB, c’est
la production des différentes branches mesurées en termes de valeur
ajoutée. Mais ce faisant, les institutions participent à consolider
un seul aspect de la réalité et à négliger tous les autres ;
de ce fait, les indicateurs orientent les actions politiques qu’ils
informent. Par exemple, pour voir augmenter le PIB, il faut augmenter
la valeur ajoutée ; on peut donc par exemple développer des
engrais de plus en plus puissants, qui assurent des récoltes de plus
en plus abondantes. Mais c’est négliger leurs effets sur les
nappes phréatiques dont la qualité n’est pas enregistrée dans le
PIB. Pour que la statistique officielle prenne en compte d’autres
aspects de la réalité, de nombreux statactivistes proposent des
indicateurs alternatifs.
Mais nous allons voir qu’il y
a deux façons de contester la réalité institutionnelle.
Premièrement, certains mettent en évidence les effets pervers
insoupçonnés des actions politiques. L’indicateur est alors un
indicateur de méfaits qui dévalorise une politique. Deuxièmement,
d’autres indicateurs servent à montrer l’importance, la
pertinence d’éléments qui ne sont pas pris en compte par les
mesures quantitatives institutionnelles. L’indicateur sert alors à
valoriser des faits injustement négligés.
Pour compter les effets pervers,
on peut ou bien mettre en série des faits qui sont évidemment
déplaisants, montrant ainsi leur caractère systématique et répété,
ou bien passer par le détour de l’argent, et rappeler le prix –
bien entendu trop élevé – d’une politique.
Un exemple extrêmement violent
mais, de ce fait, (malheureusement) extrêmement efficace de mise en
série des méfaits d’une politique, fut le décompte des suicidés
de France Télécom. Dans le livre Orange stressé (2009) Ivan
du Roy montre comment des syndicalistes en sont venus à comprendre
toute une série de suicides comme liés par une même plainte
adressée au management. Il s’agissait alors simplement de les
dénombrer et de montrer le caractère systématique du malaise qui
régnait dans l’entreprise. Ivan du Roy montrait que certains
agents préfèrent l’exit (Hirschman, 2011 [1970]) radical du
suicide plutôt que de s’adapter à ce qu’ils vivent comme
inacceptable. L’impératif de codage que nous avons identifié plus
haut ne retire pas cette ultime liberté aux agents.
Un exemple de décompte
financier des méfaits d’une politique publique a été la mesure,
d’abord réalisée par Damien de Blic, du coût d’une expulsion
de personne sans papier (2009). Ce chercheur, excédé par la
politique migratoire de la France, a pu ainsi rendre public un
argument percutant, celui des lourds investissements nécessaires
pour expulser des travailleurs qui ne demandent qu’à payer leurs
impôts.
Le groupe d’artistes danois
Superflex pousse ce mécanisme jusqu’à l’absurde dans un projet
d’œuvre qui n’a pas été encore réalisé. Elle consisterait à
installer un mécanisme de décompte des visiteurs à l’entrée
d’un musée et à accrocher le compteur lui-même, l’écran sur
lequel les chiffres sont affichés, à l’extérieur du musée, en
évidence, pour que chacun, à tout moment, dans la ville, puisse
contrôler cet indice de performance du musée municipal. Il s’agit
donc, avec une ironie acerbe, de mettre le mécanisme de gestion
néolibéral des musées tellement en évidence, qu’il en devient
absurde, idiot.
Passons maintenant aux cas
d’affirmation de réalités négligées par l’institution. À
mi-chemin entre le décompte d’événements et l’estimation d’un
prix, on trouve le cas de la mesure des inégalités sociales, et en
particulier des inégalités de revenus, et la démonstration de leur
accroissement incessant. Parmi les très nombreux travaux qui portent
sur ce point, voici deux représentants particulièrement pertinents.
D’abord le BIP 40, un
indicateur de mesure des inégalités, lancé par Pierre Concialdi et
quelques autres. Ce nom évoque le « CAC 40 » et le
PIB, ainsi que le son d’un signal d’alerte (bip, bip…), afin de
dévoiler que les bénéfices boursiers engendrent d’importantes
inégalités. Pour cela, l’idée a consisté à rassembler des
indicateurs déjà distribués dans l’espace public, et à les
rapprocher de façon à produire une mesure des inégalités en
termes de travail, de salaires, d’éducation, de santé, de
logement et de justice, qui, ainsi agrégée, n’était produite par
aucune institution.
Bernard Sujobert, représentant
CGT à l’INSEE, a raconté au public de Statactivisme comment ce
BIP 40 ainsi que d’autres mesures de l’inégalité ont fait
évoluer les publications de l’Institut National. Il montre ainsi
le rôle crucial qu’a joué le CNIS (Conseil National de
l’Information Statistique) dans cette histoire récente. C’est en
partie grâce à l’expertise autodidacte et engagée des syndicats
de salariés de l’INSEE, représentés au sein de cette instance
assez singulière au sein du paysage institutionnel français, que
les mesures des inégalités publiées par l’INSEE sont aujourd’hui
différentes de ce qu’elles étaient au début des années 1990.
Il est donc parfois possible de
quantifier les conséquences indésirables voire intolérables
d’actions ou de mécanismes publics. Inversement, il est aussi
possible de mettre en évidence des réalités précieuses négligées
par les institutions.
On peut sous ce rapport
présenter les travaux du FAIR – Forum pour d’Autres Indicateurs
de Richesse, représenté par Florence Jany-Catrice – qui propose
de mesurer la richesse nationale non plus avec le seul PIB mais avec
une extension mesurant la valeur du travail domestique, fourni
gratuitement, la plupart du temps par des femmes (Gadrey et
Jany-Catrice, 2007).
Concernant les ressources
implicites du statactivisme orienté vers les indicateurs, les
syndicalistes de Sud doivent ici être traités à part. Ils ont eu
cette idée simple de compter les suicides, ce qui ne demande pas de
compétence statistique mais plutôt des qualités humaines
consistant à aller vers les familles pour comprendre le geste
désespéré et déterminer s’il est lié, ou non, aux conditions
de travail de la personne concernée. Si oui, la critique exprimée
par ces suicidés est radicale, elle remet en cause tout le système
de management, pas seulement tel ou tel indicateur. Les syndicalistes
additionnent alors simplement les cas de personnes ayant exprimé ce
non radical, et laissent entendre que la série pourrait s’allonger.
Pour le reste, la lutte contre
les indicateurs institutionnels implique bien entendu qu’on les
connaisse assez pour les analyser, les décomposer, et les recomposer
ou, dans le cas de Superflex, les copier et déplacer leur lieu de
publication. Ce statactivisme nettement moins radical nécessite une
certaine compétence technique. Son efficace dépend alors largement
de la question de savoir pourquoi, pour mener quelle action les
indicateurs institutionnels doivent être remis en cause.
L’adaptation des indicateurs d’inégalité a trouvé son usage,
qui est une nouvelle réflexion sur la fiscalité, ce qui explique
qu’ils aient été repris par l’INSEE. Mais la remise en cause du
PIB ne semble, pour l’instant, avoir identifié aucun usage précis
dans une gangue de revendications générales et un peu floues.
Encore une fois, le possible indiqué par le statactivisme est un
arrangement entre l’existence de certaines entités et l’action
qu’elles permettraient de mener, une possibilité de faire exister
certaines réalités matérielles en les employant à un certain
usage qui reste à déterminer.
Ce dernier exemple montre que,
sans que ce contraste soit nécessairement une divergence politique,
la production d’indicateurs alternatifs couvre tout le spectre
allant du pur dévoilement d’un mal, comme dans le cas des suicides
de salariés, à des démarches beaucoup plus instituantes et
affirmatives.
Conclusion : d’autres nombres pour
d’autres possibles
Le
statactivisme permet de rassembler une grande variété de pratiques
ayant en commun de mettre les statistiques au service de
l’émancipation, c’est-à-dire d’une figure du possible, soit
en promouvant de nouveaux objets quantifiés et les actes qu’ils
permettent de réaliser, soit en cherchant à défaire ceux déjà
existants, par le pastiche et la dérision ou par la critique de
leurs conséquences. Ces pratiques traversent les mondes instituées,
on les trouve à l’université, chez les militants, dans les mondes
de l’art. En conclusion de ce texte, nous voyons mieux les raisons
qui justifient d’accorder aux statistiques comme argument politique
une attention particulière.
Si l’activisme par le nombre
est aujourd’hui tellement nécessaire, c’est d’abord en raison
du rôle capital joué par les instruments de quantification dans le
maintien des fatalités contre lesquelles l’activisme s’élève.
En effet, le codage, les catégories, les indicateurs, bref toutes
les entités statistiques, apportent une contribution décisive à la
construction d’une réalité qui se tienne, aux trois sens
distingués par Alain Desrosières : être robustes, pouvoir se
combiner entre elles, et tenir les acteurs sociaux dans une certaine
forme de coordination (Desrosières, 2008a, p. 12), à
l’exclusion des autres. À juste titre dénonçable en tant
qu’équipement de base de la cage de fer de la raison économique,
la quantification ne doit pourtant pas être désinvestie au profit
de l’exaltation des qualités, des singularités et de
l’incommensurable.
Un tel renoncement serait une
erreur, car la stabilité contraignante des entités statistiques
n’est pas inébranlable. L’attention portée aux moments
d’instauration des mesures et indicateurs révèle au contraire
leur caractère créateur, et souvent leur capacité à en éclipser
de plus anciennes. Moyen de réduction de l’incertitude ainsi que
des possibilités pratiques des exécutants, la statistique est aussi
bien un carrefour disciplinaire (mathématiques, sciences sociales,
comptabilité, gestion, etc.) où des rencontres inédites peuvent
être favorisées. Alors que la science économique est cadenassée
par un unique paradigme dominant, elle intervient en aval
d’opérations de quantification qui offrent un certain jeu.
Dès lors, « un autre
nombre est possible » : ce qu’une logique hégémonique
de quantification a instauré, une pratique statactiviste avertie
peut chercher à le défaire, ou au moins à le bousculer. Ce
détournement du mot d’ordre altermondialiste n’est pas ici
l’incantation d’un possible indéterminé, mais un appel à
produire des objets quantifiés qui reconfigurent le possible dans un
sens voulu et, on le souhaite, favorable au plus grand nombre. Bien
sûr, le sort d’un indicateur alternatif, du calcul du coût d’une
politique ou du dénombrement d’une nouvelle catégorie sociale est
incertain. Ces initiatives peuvent « prendre » dans
l’espace public ou passer inaperçues. Il reste que, par rapport à
d’autres productions intellectuelles, les débats et contestations
portant sur les nombres en société sont susceptibles de prendre une
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